Il est des noms de lieu qui font rêver chaque fois qu’on les entend prononcer, tant ils évoquent un passé et des horizons lointains. C’est le cas de Vân Dôn et Cô Tô, deux îles à l’est de la baie d'Ha Long.
L’été 2004, j’ai eu enfin l’occasion de visiter ces archipels perdus dans nos eaux territoriales du Nord-Est, plus précisément dans la baie circulaire de Bái Tu Long (Fai-tsi-long) à l’est de la fameuse baie de Ha Long dont elle fait partie. On entre dans le Bái Tu Long à travers un dédale de rochers et de pics monolithes qui font penser, selon l’imagination populaire, à une mâchoire de Dragon aux dents cassées. Le terme sino-vietnamien Bái Tu Long consacre plutôt une autre légende...
Dans la nuit des temps, des monstres marins envahissaient le pays. Le dragon, ancêtre des Vietnamiens, descendit du ciel avec ses enfants pour le sauver. Ils crachèrent comme projectiles des perles qui se changèrent en rochers. Les ennemis étant repoussés, l’animal fabuleux descendit sur ce sol, ses mouvements creusèrent la baie de Ha Long (Dragon descendant) tandis qu’une secousse de sa queue fit émerger l’îlot Bach Long Vi (queue du Dragon blanc). Les ébats d’un petit dragon firent naître la baie de Bái Tu Long (fils du Dragon se prosternant).
Vân Dôn, le plus ancien avant-port maritime
Vân Dôn (Fort des Nuages) était notre plus ancien avant-port maritime et port de commerce extérieur. Il est assez difficile d’identifier aujourd’hui sa position exacte. Selon toute probabilité, on peut le situer à l’ancien village de Vân, ou Vân Hai, composé à l’heure actuelle de cinq villages (Quan Lan, Minh Châu, Ban Sen, Ngoc Vung, Thang Loi) répartis sur plusieurs îlots.
Au plan de la préhistoire, Vân Dôn se rattache à la culture de Ha Long, dernière période (il y a 5.000 ans) du néolithique et frisant l’âge du bronze.
Au XVe siècle, le lettré humaniste Nguyên Trai a laissé un poème sur ces îles :
"Sur les îlots, se succèdent les nappes d’herbe verte,
Dans cette baie, dit-on, les Phiên ancrent leurs bateaux".
(Vong trung ngan thao thê thê luc
Dao thi Phiên nhân trú bac loan).
Les Phiên (étrangers) qui fréquentaient Vân Dôn étaient des commerçants chinois, siamois, indonésiens. Dès le XIe siècle, c’était le seul port réservé au commerce extérieur. Mais depuis le XVIIe siècle, Phô Hiên dans l’hinterland deltaïque du fleuve Rouge éclipsa de plus en plus Vân Dôn qui cessa d’exister au XIXe siècle en tant que centre du commerce extérieur du Nord.
Mais le plus grand titre de gloire de Vân Dôn était plutôt d’ordre militaire, ce port s’étant par deux fois illustré dans la lutte contre l’agression chinoise.
Au XIe siècle, la Cour des Song rassemblait des troupes et des provisions à la frontière pour préparer une invasion de taille. En 1075, pour prévenir l’offensive chinoise, Lý Thuong Kiêt attaqua la Chine par voies de terre et de mer, Vân Dôn servant de base de regroupement aux jonques de guerre. Il réussit à occuper Yung-chow et d’autres citadelles qu’il démantela.
Au XIIIe siècle, comme le Vietnam refusait de laisser passer les troupes mongoles à travers son territoire pour aller conquérir le Champa au Sud, il fut l’objet de deux invasions qui furent repoussées. En 1287, les Mongols revinrent avec une armée de 500.000 hommes, décidés à prendre leur revanche. Trân Khánh Du à Vân Dôn attaqua par surprise la flotte chinoise d’approvisionnement et coula ses cent jonques, créant pour le généralissime Trân Hung Dao les conditions pour anéantir le corps expéditionnaire.
Cô Tô, l’île extrême orientale du Nord
Cô Tô, à quatre heures de canot de Vân Dôn, est l’île extrême orientale du Nord du Vietnam. Son nom rappelle à plus d’un ancien lettré la vieille cité chinoise Cô Tô (So Chow) et les vers nostalgiques du poète Chang Chi des Tang :
"Minuit. Dans la lointaine Pagode de la Montagne
Froide, les sons de cloche s’égrènent
Qui, par delà la cité de So Chow (Cô Tô),
émeuvent le voyageur dans sa barque".
Cô Tô avait été habitée depuis longtemps par une colonie chinoise de pêcheurs et de commerçants. Ils regagnèrent leur pays lors du conflit sino-vietnamien de 1978. Pour combler le vide démographique causé par leur départ, le gouvernement a encouragé l’immigration d’habitants des régions côtières et du delta du fleuve Rouge. J’ai visité en pleine mer le bateau-vivier d’un couple d’anciens fonctionnaires démunis venus d’un village de Nam Dinh il y a une dizaine d’années. Ils se sont enrichis en élevant des poissons et des crustacés.
Depuis 1994, a été créé le district insulaire de Cô Tô composé de Cô Tô et de Thanh Lâm, villages auxquels devra s’ajouter l’île Trân. Grâce aux investissements intensifs de la province de Quang Ninh, la nouvelle unité administrative a réalisé de grands progrès économiques - pêche, pisciculture avec huîtres perlières, sylviculture, riziculture.
Cependant, malgré la diversité des sites pittoresques, le tourisme n’a fait que commencer, étant donné la faiblesse des infrastructures. Cô Tô offre aux gourmets des fruits de mer incomparables, entre autres le sùng, vers de sable qui donne une saveur spéciale à la soupe Hanoïenne pho, et le bào ngu, escargot qui vit dans les profondeurs marines et possède des vertus aphrodisiaques.