Hanoi a été une destination importante du périple artistique de Dang Ai Viêt. Cinq mois de route, à moto, pour une mission sacrée qu'elle s'est fixé elle-même : dessiner les portraits des "Mères héroïnes" qui, au nombre de 5.000, sont domiciliées partout tout le pays. C'est le 19 février 2010 (le 6e jour du Têt, Nouvel An lunaire) qu'elle a enfourché sa petite moto de marque Chalie, et le 26 juin 2010 qu'elle a débarqué à Hanoi, ses croquis sur le porte-bagages. Dans la capitale fébrile, qui préparait activement la célébration de son millénaire, la peintre a eu l'idée de présenter ses portraits de 225 "Mères héroïnes". Une idée soutenue par le Musée des femmes vietnamiennes.
Dénommée "Itinéraire du pinceau et du temps", cette expo de presque un mois (du 27 juillet au 19 août 2010) a forcé l'admiration des Hanoiens. Présent à la cérémonie d'ouverture, le président de la République, Nguyên Minh Triêt, a déclaré avec émotion : "Dang Ai Viêt a franchi d'innombrables difficultés pour concrétiser son voeu ardent de dessiner le plus de portraits de Mères héroïnes en vie. Une démarche respectable et admirable". Il a profité de cette occasion pour demander aux administrations locales et services compétents d'aider cette femme peintre à poursuivre sa "noble mission".
"J'ai peur d'arriver trop tard..."
Malgré ses 62 ans, Dang Ai Viêt respire toujours la santé. Chevelure blanche, yeux brillants, visage souriant, la sexagénaire parle passionnément de son projet dont elle n'a réalisé que le tiers. "Je compte traverser les 63 provinces et villes vietnamiennes pendant 18 mois. Pour l'instant, sur la totalité des 5.000 Mères héroïnes encore en vie, je n'ai pu en rencontrer que 225. Nos vieilles héroïnes sont toutes âgées de 80 à 100 ans, voire plus. Elles vivent disséminées partout dans le pays. J'ai peur d'arriver trop tard pour beaucoup d'entre elles", s'inquiète-elle.
Durant la résistance anti-américaine, la peintre Dang Ai Viêt travaillait comme dessinatrice pour le journal Phu nu-giai phong (de l'Union des femmes des forces de libération du Sud-Vietnam) avant de devenir, après 1975, professeur à l'Université des beaux-arts de Hô Chi Minh-Ville. Elle nourrissait depuis longtemps le projet de parcourir le pays afin d'immortaliser, au moyen du pinceau, ces mères courageuses qui ont sacrifié leurs enfants - l'espoir de leur vie - à l'oeuvre révolutionnaire. "Il semble que le Vietnam soit l'unique pays dans le monde ayant ce titre de +Mère héroïne+. Les Mères héroïnes vietnamiennes sont vraiment grandioses. Chacune d'elles est un exemple de sacrifice infini, digne d'être léguée aux générations futures".
Plus de 2.000 km en moto couverte
À 60 ans passés, Dang Ai Viêt aurait pu décider de ne plus se consacrer qu'à la peinture sur chevalet. Que nenni ! Dès après le Têt du Tigre 2010, elle a enfourché sa fidèle Chali, qu'elle utilise depuis vingt ans, et filé plein Nord. "Pour me protéger des intempéries, j'avais attaché un grand parapluie, transformant ma moto en véhicule couvert !", explique-t-elle. Et d'avouer que durant quatre mois, à travers 18 provinces et villes, sa "voiture à deux roues" est tombée plus d'une fois en panne : deux fois pour changer la chaîne, deux autres fois pour changer de pneu, sans compter d'innombrables crevaisons qui l'obli- geaient parfois à pousser sa moto sur des kilomètres en quête d'un réparateur.
"Peu importe les difficultés ! L'important, c'est que j'ai pu visiter des +Mères héroïnes+, les embrasser, leur souhaiter bonne santé, et leur demander de me permettre de faire un portrait", dit-elle avec un doux sourire sur les lèvres. Le travail doit "s'effectuer avec le coeur. D'ordinaire je commence par causer longtemps avec elles, tout en contemplant leur visage ridé jusqu'à ce que j'y trouve un angle singulier reflétant leur âme. Tout cela, je le fais avec un sentiment de vénération et d'admiration, ce n'est qu'après que je me décide à prendre le crayon".
Un périple artistique aux allures de pèlerinage
Plus d'une fois, je n'ai pas réussi à faire de portrait. Car le croquis doit décrire non seulement la physionomie mais aussi l'esprit et l'âme. Or, un certain nombre de +Mères héroïnes+ n'avaient plus toute leur tête. Dans ces cas-là, je ne faisais que les embrasser, leur former un voeu de vie en paix, et prendre une photo souvenir", confie la femme peintre, les yeux en larmes. Et de se rappeler avec tristesse que plus d'une fois, elle est "arrivée trop tard". "Une sensation de regret me déchirait le coeur. Et je me sentais fautive", avoue-t-elle.
Chevaucher une petite moto durant quatre mois, traverser 18 provinces et villes, rencontrer des centaines de "Mères héroïnes" et en faire 225 portraits. Tout cela ne représente néanmoins que le tiers du pèlerinage que la peintre sexagénaire se promet d'effectuer, toute seule, en payant de ses deniers. Son budget, il provient de la vente de l'album de photos "Mémoire du Mékong", dont l'auteur n'est autre que son mari, l'"Artiste du Peuple" Pham Khac, metteur en scène du célèbre documentaire "Mémoire du Mékong". Sa motivation est simple : "Ayant traversé toute la guerre, je comprends parfaitement les sacrifices et la douleur qu'ont supportés les mères des morts pour la Patrie".
En visitant l'exposition extraordinaire de Dang Ai Viêt, la ministre du Travail, des Invalides de guerre et des Affaires sociales, Nguyên Thi Kim Ngân, a exprimé son admiration : "Si le pays témoigne de sa gratitude envers les +Mères héroïnes+ en leur facilitant l'accès aux services de santé et en améliorant leurs conditions de vie, la peintre Dang Ai Viêt le fait, elle, à sa manière, tout à fait différente mais non moins utile. Grâce à ces portraits extraordinaires, les générations futures pourront mieux imaginer ces femmes à la fois simples et grandioses qui ont fait le sacrifice suprême, celui de leurs enfants, pour la Patrie".