Tous les ans, les Khmers organisent dans la province d’An Giang (Sud) une grande course de bœufs. Une fête de l’ethnie khmère qui attire des milliers de spectateurs enthousiastes.
L’ethnie khmère compte environ un million de personnes, concentrées dans le Sud du pays. Les Khmers possèdent de nombreuses fêtes traditionnelles dont le Têt Chol Chnam Thmay (fête du Nouvel An et de la fin de la saison sèche), la fête Dolta (cérémonie propitiatoire et à la mémoire des ancêtres), la fête Ooc-om-bok (reconnaissance envers les ancêtres, les parents et en mémoire des disparus), la course de ghe ngo (un type de pirogue), et la fameuse course de bœufs.
Cette course se tient chaque année dans la région de Bay Nui (province d’An Giang, Sud), dans le cadre de la fête Dolta (du 29e jour du 8e mois lunaire au 1er du 9e mois lunaire). Elle attire des dizaines de milliers de spectateurs, pour la plupart d’ethnie khmère, venus des provinces de Trà Vinh, Soc Trang et même du Cambodge. La région de Bay Nui retentit des hurlements de milliers de poitrines, qui encouragent leur paire de bœufs préférée, souvent celle de leur localité.
Selon la légende, autrefois, au crépuscule, une fois les labours achevés, certains paysans se réunissaient avec leurs bœufs pour des courses «à la bonne franquette» dans les rizières. Comme des courses de bœufs avaient lieu près des pagodes khmers, le bonze assurant la gestion de la pagode et l’homme présidant les rites religieux eut alors l’idée d’organiser une course dotée de récompenses qui, au fil des décennies, est entrée dans les us et coutumes des Khmers
D’après le bonze Chau Son Hy, maître de la pagode de Sà Lôn, commune Luong Phi (district de Tri Tôn, province d’An Giang), «autrefois, des courses de bœufs avaient lieu près des pagodes khmers. Le bonze assurant la gestion de la pagode était l’organisateur de ces courses entre villages». Aujourd’hui, la course se tient dans la région de Bay Nui (districts de Tri Tôn et Tinh Biên, province d’An Giang), après le retrait des crues.
Bichonnés et entraînés comme des athlètes
Des mois avant la course, les bœufs suivent un régime spécial, alimentaire et physique. Dispensés de travail, ils sont bichonnés par leur propriétaire qui leur réserve les meilleures herbes, le tout accompagné d’oeufs, de lait et même de miel mélangé à du son. Chaque jour, ils font une dizaine de kilomètres pour entraîner leur endurance, et tous les trois jours, ils ont droit à une course d’essai.
Le «bœufodrome» est souvent un espace de 80-120 m de large et 150-200 m de long, entouré de diguettes en terre où les spectateurs se regroupent. La piste est longue de 100 m et large de 8 m.
L’épreuve regroupe entre 40 et 60 paires de bœufs sélectionnés lors des courses communales. Avant la compétition, on les affuble d’un collier argenté, de clochettes. Leurs cornes sont enveloppées dans un tissu multicolore. De belles bêtes : tête massive, dos droit, queue longue, oreilles petites et courtes, cou rond, yeux doux...
Chaque paire de bœufs est attachée à une herse à dents courtes, conçue pour la course seulement, constituée d’une tranche de bois de 30 cm de large et de 90 cm de long. Le conducteur se tient debout, comme s’il travaillait la terre. Attention, toute chute est éliminatoire.
La course est divisée en deux cycles : hô et tha. Lors du premier, deux paires de bœufs, chacune sur une ligne de piste comme en athlétisme, font deux tours en trottant. L’objectif est de «défiler», mais en respectant tout de même des règles strictes : pas le droit d’empiéter sur la ligne ou sur la herse du voisin.
Lors du cycle tha, la course proprement dite commence. Il n’est alors plus nécessaire de garder sa ligne, et marcher sur la herse de l’adversaire est autorisé.
Les «jockeys», qui sont également les propriétaires et entraîneurs des bœufs, dirigent leurs animaux avec un fouet en rotin et une baguette en bois appelée xà lu. Au signal de départ, le conducteur frappe la croupe des bœufs, qui bondissent comme des flèches au milieu des vivats de la foule en délire, dans un jaillissement d’eau et de boue mêlées.
Les purs sangs et leurs jockeys
Les bœufs sont comme des purs sangs, et leurs «jockeys» sont de hommes très expérimentés, qui commandent leurs animaux avec sang-froid. Les spectateurs attendent la victoire de la paire de bœufs de leur village, qui rejaillira sur toute la communauté. Les animaux seront alors entretenus et considérés comme un trésor, de la famille et même du village. Car selon les Khmers, les bœufs gagnants apporteront au village joie et chance. Avec cette victoire, les villageois peuvent espérer de bonnes moissons.
Cette course a pris au fil des années une dimension de plus en plus importante. En 1991, elle a vu s’affronter, par bœufs interposés, des districts, puis ensuite des provinces. «La course répond aux besoins de distraction des Khmers et de la population toute entière, toutes ethnies confondues», selon Châu Song, propriétaire d’une paire de bœufs, du quartier d’An Loi, commune d’An Hao, district de Tinh Biên, province d’An Giang. Et d’ajouter : «Les locaux sont toujours enthousiastes de participer car les moissons et la période des crues sont terminées. Après la course, ils reprennent le travail».