Un patrimoine culinaire au cachet royal
Mettre à jour: 22 Octobre 2013
La ville de Huê (province de Thua Thiên-Huê, Centre) a été la capitale impériale du Vietnam unifié du début du XIXe siècle jusqu’en 1945, date de la proclamation de l’indépendance du pays. Huê est l’un des derniers territoires du Vietnam où le patrimoine culinaire impérial est encore vivant.
La gastronomie de la cour des rois Nguyên (1802-1945) est basée sur trois principes immuables, selon Tôn Nu Thi Hà, descendante de la famille royale et l’un des rares «gardiens» de la gastronomie de la cour. Le premier est le principe nutritif. Autrefois, le Grand institut de médecine (Thai y viên) était chargé de commander des mets qui convenaient aux goûts et à la santé du roi. Parmi les critères, l’équilibre acide-base (principe du yin et du yang) est alors primordial. De même que la couleur. Les épices et des condiments sont des éléments essentiels. Enfin, ce qui distingue la gastronomie de la cour des rois Nguyên de celles du Japon et de l’Europe, c’est la représentation des animaux sacrés symbolisant le pouvoir et la noblesse. Par exemple, le phénix dansant pour exprimer la joie, le dragon pour la pluie et les vents favorables, la tortue pour la longévité, la licorne pour la majesté. La représentation de ces animaux est faite des mets offerts au roi.

Tôn Nu Thi Hà, 70 ans, a consacré une grande partie de sa vie à la préservation et à la valorisation de la gastronomie de la dynastie des Nguyên. À 8 ans, elle a reçu ses premières leçons de cuisine de ses tantes, qui étaient les épouses des ministres de la cour. Avec le temps, elle a compris comment on composait le repas du roi, les recettes et les méthodes de préparation. À 23 ans, elle a cuisiné son premier grand festin royal. Une épreuve test qu’elle a affrontée avec succès. Aujourd’hui, sa fille Phan Tôn Tinh Hai a décidé de reprendre le flambeau.

Naissance du Service de bouche de la cour

D’après les recherches de Tôn Nu Thi Hà, le Service de bouche de la cour a été établi vers 1802, au début du règne du roi Gia Long (1762-1820), le premier roi de la dynastie des Nguyên. Baptisé Thuyên Nôi Trù dans un premier temps, le service a adopté en 1820 (sous le règne du roi Minh Mang), l’appellation Dôi Thuong Thiên. Ce service travaillait dans un bâtiment dédié, le Thuong Thiên Duong (Bâtiment de la bouche impériale), et mobilisait une cinquantaine de cuisiniers. Chacun ne préparait qu’un seul des 30 à 50 plats (50 pour Minh Mang, 35 pour Khải Định) servis au déjeuner et au dîner, et dont l’empereur ne consommait qu’une infime quantité. Chaque plat - «phẩm vị» dans le langage de la cour - était servi couvert d’un linge épais afin de garder un peu la chaleur. Un peu seulement, car la distance entre les cuisines et la table du monarque était importante. Les mets auxquels le roi n’avait pas touchés étaient souvent donnés à des mandarins de la cour.

Au début, ces plats étaient transmis de générations en générations. Par la suite, lorsque les ambassadeurs de la cour rentraient de leur mission à l’étranger, ils faisaient goûter au roi les spécialités d’ailleurs. «Le roi séduit, il les ajoutait à ses repas quotidiens qui se sont ainsi diversifiés», toujours selon Tôn Nu Thi Hà.

Une influence multiculturelle

La gastronomie de la cour royale est la quintessence de la culture culinaire de Huê. D’après Lê Nguyên Luu, auteur du livre Doi sông van hoa gia tôc (Vie culturelle de la famille royale, 2006), la gastronomie de la cour est aussi très inspirée de la cuisine populaire car les cuisiniers qui travaillaient au Service de la bouche venaient des régions rurales.

Dans les régions rurales, les paysans et les artisans se contentaient de repas simples avec des légumes cultivés et récoltés dans les champs ou les jardins, des poissons et des crabes pêchés dans l’étang familial ou dans les rizières. Mais lors des événements familiaux ou les fêtes de villages (anniversaire de la mort d’un ancêtre par exemple), ils préparaient des mets beaucoup plus raffinés.

La cuisine populaire de Huê a ses caractères propres. La diversité d’abord : chaque repas est fait de multiples ingrédients (viande, poisson, plantes et racines potagères) cuits de différentes façons, bouillis, sautés, grillés, cuits à la vapeur ou dans de la saumure de poisson. L’esthétique : que ce soit dans les familles riches ou défavorisées, le plateau-repas est bien présenté et dans un ordre précis, que ce soit sur une table, un lit de bois, un grabat en bambou ou une natte de souchet étendue au centre de la maison. La convivialité : les plats sont tous déposés en même temps et la famille partage le repas. Enfin, la subtilité : les Huéens choisissent soigneusement l’appellation des mets pour mieux attirer les convives.

Parlant de la cuisine huéenne, on ne peut pas ignorer la cuisine végétarienne. L’ancienne capitale impériale compte plus de 100 pagodes. Le bouddhisme est la religion principale dans la région. Les bonzes et bonzesses observent un régime végétarien et les pratiquants ne mangent pas de plats à base de viande ou de poisson pendant le 1er et le 15e jour de chaque mois lunaire.

Autrefois, les rois suivaient eux aussi un régime végétarien lors des semaines de culte au Ciel. Les plats étaient spécifiques et également soigneusement préparés. Ce qui explique le développement des plats végétariens à Huê jusqu’à aujourd’hui.

À l’époque, ces plats étaient préparés avec des ingrédients simples à base d’amidon (riz, pomme de terre, taro...) et de céréales (sésame, arachide, soja, haricot...). Sous les mains habiles des cuisiniers, ils devenaient ensuite des plats particulièrement savoureux.
CVN