Le Têt avant l’heure chez certaines ethnies minoritaires
Mettre à jour: 18 Février 2015
Région Nord-Ouest, en fin d’année. Un froid vif règne dans ces montagnes peuplées de nombreuses ethnies minoritaires. Le chemin menant à la commune de Sin Thâu, district de Muong Nhe, province de Diên Biên, traverse des champs de sarrasins en fleurs. Il zigzague sur le flanc de la montagne, disparaissant parfois dans la brume qui hante la moitié de l’année ces hautes terres.

Nord-Ouest. Les 54 ethnies du Vietnam, chacune a ses us et coutumes. Elles fêtent le Nouvel An lunaire différemment, pas forcément au même moment. Chez les Hà Nhi et les Công, il est célébré bien avant l’heure.

Située au carrefour des frontières entre Vietnam, Chine et Laos, la commune de Sin Thâu est habitée pour l’essentiel par les Hà Nhi. En dépit du froid mordant, les montagnards préparent la fête la plus importante de l’année. À la différence d’autres ethnies qui fêtent le Têt au printemps (comme les Kinh de la plaine, l’ethnie majoritaire, par exemple), les Hà Nhi le célèbrent au 10e mois de l’année lunaire, lors d’un jour portant le signe du dragon. Cette année, leur jour du dragon tombe le 11 décembre 2014. Traditionnellement, le Têt traditionnel des Hà Nhi dure trois jours, avec pour chacun des rituels très codifiés.

Trois jours, trois rites

Premier jour du Têt, à l’aube. Une atmosphère festive règne dans les hameaux des Hà Nhi. Partout, on se hâte de préparer un repas copieux pour le culte des ancêtres. Toutes les familles abattent un cochon, dûment engraissé durant des mois. On en tirera plusieurs mets tels que viandes bouillie, grillée, fumée.

Les tripes, le foie en particulier, serviront à confectionner un plat, disons, peu ragoûtant.

La tradition veut que le repas dédié au culte des ancêtres comprenne une assiette de viande et de foie bouillie, une assiette de sel et gingembre, trois bols de riz et trois tasses d’alcool. Une fois le plateau d’offrandes déposé sur l’autel, le chef de famille brûle des bâtonnets d’encens, et tous les membres se prosternent devant l’autel tout en formulant des vœux de santé, de prospérité, de bonheur.

Le repas du Têt réunit tous les membres du foyer, et aussi des visiteurs venus souhaiter la bonne année à la famille. L’occasion de faire bombance!

À la tombée de la nuit, les villageois affluent vers la maison commune du village pour participer à la «soirée artistique de salut au Nouvel An».  Pas besoin de scène, les «artistes» enchaînent numéros de chant, de danse, de musique en plein air, dans la cour de la maison commune. «Pas besoin de luxe ou de clinquant. Le plus important, c’est que tous le monde soit heureux», considère le patriarche du village. Et d’ajouter que ces «artistes amateurs» ne sont rien d’autres que des filles et garçons du village, des élèves et enseignants de l’école locale, des gardes-frontières.

À minuit, l’animation bat son plein. Sur le terrain de sol battu, tout le monde est réuni autour d’un grand feu de camp. Main dans la main, on danse la xoè, au rythme des tambours et gongs. C’est toujours dans l’allégresse que passe la première nuit du Têt.

Le 2e jour commence quand il fait encore nuit noire. Les villageois s’affairent à préparer les banh chung (gâteau de riz gluant, farci de viande et d’haricots, de forme carrée) et banh giây (gâteau de riz gluant pilé, de forme ronde). Chez les anciens Viêt, le banh chung symbolisait la Terre qu’ils imaginaient de forme carrée; et le banh giây, le Ciel, de forme ronde. Ces gâteaux caractéristiques du Têt sont préparés avec soins car dédiés au culte du Ciel, de la Terre, des génies des montagnes et des fleuves. Et pas question de se les mettre à dos!

Le Têt aux fleurs

Après s’être régalés des gâteaux du Têt, les villageois prennent part avec enthousiasme aux activités organisées ici et là aux alentours du village. L’occasion pour les jeunes filles et garçons de rivaliser de talent avec des chansons folkloriques, des airs de  khèn  (flûte des montagnards) et des danses à l’ombrelle. Tandis que les enfants jouent, les vieillards devisent autour d’une tasse de thé.

Le 3e jour, les réjouissances se poursuivent. Les villageois vont les uns chez les autres pour s’adresser les meilleurs vœux de bonne année, santé et chance. Encore une fois, un repas copieux est préparé et déposé sur l’autel, cette fois pour faire ses adieux aux ancêtres, qui étaient revenus parmi les vivants à l’occasion de toutes ces célébrations.

Chez les Công, une autre ethnie minoritaire, de la commune de Pa Thom, district de Diên Biên, province de Diên Biên (Nord), le Nouvel An lunaire, appelée Têt Hoa (littéralement Têt aux fleurs), est célébré fin novembre.

Une fête colorée et parfumée. Sa particularité réside dans la cérémonie d’ouverture qui se déroule chez le patriarche du village. Ce dernier a pour tâche de choisir un jour faste pour le rite cultuel communautaire, et de le diriger. Au petit matin, les villageois vont en forêt pour cueillir des fleurs afin de décorer la maison du patriarche. Un bambou grand et droit, portant des feuilles à la cime, est planté au milieu de la maison. Son tronc est ensuite garni de fleurs de célosie, symbole de prospérité et de chance.

Un mets doublé

La cérémonie cultuelle commence à 16 heures précises. «C’est le moment favorable au retour des ancêtres et des génies», selon un vieillard. Chaque famille apporte un plateau d’offrandes qui est souvent un mets délicat, par exemple poulets, écureuils, rats des champs, poissons, courges, taros ou bouteilles d’alcool de riz. Il est obligatoire de préparer un mets doublé (deux poulets, deux poissons, etc), car «nos génies et nos ancêtres ne veulent que des nombres pairs. Le nombre impair apporte de mauvaises choses», explique le patriarche. Toutes les offrandes sont placées devant l’autel, décoré de fleurs de célosie.

Les instruments de travail comme coupe-coupe, pioche font  aussi l’objet de culte. Car, selon les anciens, «ils ont aidé les hommes à cultiver et donc à vivre». 

En costume traditionnel tout neuf, les Công se réunissent et font ensemble le rite du salut au Nouvel An, sous la houlette du patriarche officiant. Ce dernier allume deux bougies et fait des prières, invitant les divinités et les ancêtres à venir fêter le Nouvel An avec les vivants. Il prie pour une bonne et heureuse année pour tous les villageois. Le rite terminé, tout le monde dîne chez le patriarche et il va sans dire que le ruou cân (alcool de riz siroté avec des tiges de bambou) coule à flot!

Le Têt Hoa continue les jours suivants avec des festins familiaux et des réjouissances communautaires. Les chants, les danses, les sons de gongs résonnent dans les vallées, même durant la nuit.     

CVN