Le village côtier de Canh Duong, dans la province de Quang Binh (Centre), a comme surnom le «village aux baleines». C’est l’unique localité du pays à abriter un cimetière destiné à ce mammifère marin vénéré des pêcheurs.
«Que Monsieur la Baleine nous protège !». Une prière des pêcheurs vietnamiens avant de prendre la mer. Pour les villages côtiers du Centre, posséder un squelette de baleine, c’est à la fois un honneur et l’assurance d’être protégé. «Notre village de Canh Duong préserve depuis deux siècles deux squelettes de baleine auxquels les habitants rendent un culte régulier», confie avec un brin d’orgueil Pham Quôc Hông, pêcheur de 80 ans.
À chaque fois que des visiteurs débarquent au village aux baleines situé au bord de la Mer Orientale, l’octogénaire est ravi de leur raconter des légendes sur Cá Ông Voi, littéralement «Monsieur la Baleine», que les pêcheurs locaux considèrent comme leur Génie tutélaire.
Les bons offices de Monsieur la Baleine
«Chaque fois que nous prenons le large, le Génie tutélaire est toujours là, à nos côtés, pour nous protéger des dangers». Pham Quôc Hông se rappelle un cas survenu en 2007, où un bateau de pêche du village est tombé en panne au large. Balloté par les flots, il menaçait de sombrer. Les pêcheurs, complètement désemparés, croyaient leur dernière heure arrivée. «C’est alors qu’est apparu Monsieur la Baleine. Il s’est approché du bateau et l’a soulevé sur son dos. Un soutien qui a redonné du cœur à l’ouvrage à l’équipage et lui a permis de réparer le moteur à temps !».
Pour ses largesses, les habitants des régions côtières l’appellent avec vénération : «Monsieur la Baleine» (pour le mâle) ou «Madame la Baleine» (pour la femelle). Lorsqu’une baleine s’échoue sur le rivage, elle a droit à une sépulture et à des rites funéraires dignes de ce nom. «Il semble alors que tout le village est en deuil. On procède à des funérailles solennelles avant de l’enterrer dans notre cimetière des baleines», selon Pham Quôc Hông.
Parfois, l’échouage d’un Cá Ông Voi est vu comme «un bon présage, celui d’une saison de pêche abondante». Pham Quôc Hông cite un «événement inoubliable» : dans l’après-midi du 5 mai 2014, un cétacé de 2 m est trouvé sur la grève. «Le Monsieur est encore vivant». La bonne nouvelle se propage rapidement parmi les villageois qui, enthousiasmés, se précipitent sur le lieu de l’échouage. Par tous les moyens, ils cherchent à ramener au large le mammifère marin de plus de 150 kilos. «Avant de repartir au loin, le Monsieur a donné des coups de queue dans l’eau en signe de remerciements», affirme l’octogénaire.
Les mystères de Cá Ông Voi
Le cimetière des baleines du village de Canh Duong existe depuis des siècles, selon Pham Quôc Hông. Il s’agit d’un grand espace entouré de murs, où 17 tombes ont été creusées dans le sable. À la différence des tombes des hommes, celles des baleines n’ont pas de stèles. Au milieu de cet espace sacré se dresse un petit temple. «Un anniversaire de leur mort est organisé chaque année, marquant la reconnaissance des pêcheurs envers le Génie tutélaire», révèle le vieux pêcheur.
À côté du cimetière se trouve un lieu de culte réservé au Génie tutélaire du village. De chaque côté de l’autel trônent deux grosses vertèbres. «L’une appartient à Monsieur et l’autre à Madame. La première date de 1907, la seconde de 1809», explique Nguyên Van Biêu, gardien du temple.
Il s’agit en fait des vestiges de deux squelettes, placés autre-fois loin d’ici. En réponse à l’aspiration des villageois désireux de construire près du village un temple dédié exclusivement au culte du Génie protecteur, il avait été décidé de transférer les os ailleurs. Mais, à peine la procession était-elle venue à l’actuel endroit que le char funèbre tombait en panne. «C’était certainement le vœu du Génie de choisir ce lieu sacré, s’est-on dit alors. Et de décider de construire le temple sur place».
Depuis des générations, tous les 1er et 15e jours du calendrier lunaire, les habitants de Canh Duong rendent un culte à leur Génie protecteur. «Notre Génie répond miraculeusement à nos prières. C’est grâce à lui que les pêcheurs peuvent partir en mer l’esprit tranquille et faire face aux tempêtes», assure le vieux gardien.
En particulier, au 15e jour du 1er mois lunaire, une grande fête annuelle, appelée «Fête pour une bonne saison de pêche», est organisée en grande pompe à Canh Duong, en l’honneur du Génie la Baleine. La cérémonie cultuelle est suivie d’une danse aux pagaies et d’airs folkloriques des pêcheurs locaux.
Malgré la modernité qui gagne les coins les plus reculés, le Génie la Baleine demeure toujours aussi vivant dans la vie des pêcheurs vietnamiens.
Baleine
En vietnamien, le mot «baleine» (cá voi) regroupe différentes espèces de cétacés allant des plus grands (cachalot, baleine bleue par exemple) jusqu’aux plus petits (dauphin, marsouin…).
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