Avec la maison communale, le banian et les bambous, la porte villageoise est un miroir de l'âme rurale. Aujourd'hui, en raison des outrages du temps et de l'urbanisation, nombre de portes de villages n'existent plus que sur les photos et dans les cœurs nostalgiques.
Les portes des anciens villages sont le "produit typique" de l'architecture traditionnelle vietnamienne. Elles jouent un rôle important à la fois dans la vie matérielle et spirituelle des habitants. Construite à l'entrée de chaque village, la porte sépare la terre d'habitation de l'étendue des cultures. Les hommes vivent dans l'enceinte du village et les morts sont enterrés à l'extérieur de sa porte.
Souvent, chaque village possède deux portes : l'une de devant et l'autre de derrière. La première citée, la principale, est orientée au Sud-Est, là où le soleil se lève et où les vents sont favorables. Cette porte est ainsi réservée aux vivants, accueillant les paysans qui rentrent à la maison après une journée de travail dans les champs, les visiteurs, les mandarins faisant une tournée d'inspection, les nouvelles mariées, les personnes qui font un retour glorieux à leur village natal après leur succès aux concours des lettrés. En bref, la porte de devant accueille les bonnes choses, bénédictions et bonheurs.
Quant à la porte de derrière, elle se tourne vers l'Ouest où se couche le soleil. Considérée comme la porte supplémentaire du village et réservée aux convois funèbres, elle est la porte de séparation - entre le monde des vivants et celui des morts. Les personnes condamnées à une amende et bannies du village sont elles aussi obligées de passer par cette porte. La porte de certains villages comme Uoc Lê, Son Dông à Hanoi, ou Dinh Bang à Bac Ninh (Nord) gardent encore les chiens en pierre qui, selon la tradition, aident à défendre les villages contre les esprits maléfiques.
L'âme des villages traditionnels
Les portes des villages font partie intégrante des villages traditionnels du Nord. On les voit surtout dans les provinces deltaïques du fleuve Rouge comme Bac Ninh, Hà Tây, Nam Dinh, Hung Yên, Thai Binh.
Avec la maison communale, le banian et les bambous, la porte villageoise est une manifestation de l'âme rurale. À l'entrée de chaque village, la porte de devant présente aux visiteurs l'histoire, l'identité du territoire, qu'il s'agisse d'un village de métier ou d'un village dont de nombreux habitants ont réussi aux concours des lettrés ou sont devenus mandarins...
L'architecture et l'envergure des portes sont différentes les unes des autres. Si dans les villages pauvres, les portes sont simples, sans artifice, les portes des villages plus riches ont un aspect imposant, ornées de motifs de tigre et de dragon. Les villages ayant des lauréats des concours mandarinaux ont le droit de construire de grandes portes sur lesquelles sont gravées des sentences parallèles. La réputation d'un village décide de l'ampleur de ses portes. Quand les villageois réussissent à bâtir leur fortune, ils pensent souvent à investir dans la porte du village. Uoc Lê, village de confection des gio et cha (pâté de viande pilée et hachis frit) conserve toujours sa porte bien solide, construite à l'époque du règne du roi Gia Long (il y a près de deux siècles), grâce aux fonds collectés par les familles fortunées du métier villageois à Hanoi.
Photographier les portes pour les conserver
Depuis les années 1990, le peintre Quach Dông Phuong poursuit une passion : photographier les portes des villages de Hanoi et des localités à proximité.
"Auparavant, je travaillais pour une société d'import-export d'objets d'art artisanaux. Je fréquentais alors les villages de métier, de Yên Thai, Gia Lâm (Hanoi) à Mô Trach (Hai Duong) en passant par Dinh Bang (Bac Ninh)... À cette époque, je m'interrogeais sur le fait de savoir si, en repassant en ces lieux quelques années plus tard, ces magnifiques portes de village ne seraient, oui ou non, qu'une illusion du passé lointain".
Le peintre Quach Phuong Dông possède aujourd'hui une très riche collection de photos sur les portes des villages, des ruelles, des maisons communales ou résidences. Parmi ces clichés, il y en a 700 sur les portes des anciens villages. La moitié de ces portes n'existent malheureusement plus que sur ses photos. Face aux ravages du temps et à l'urbanisation, nombre de portes de villages ont été détruites ou éclipsées par les nouvelles constructions. Quach Phuong Dông a fait deux expositions de photos sur les portes des anciens villages en 2000 et 2004.
Une autre personne nostalgique de la beauté des portes villageoises, c'est Vu Khiêm Ninh, né au village de Buoi-An Thai (Hanoi). Cet homme d'une soixantaine d'années a consacré 10 ans de sa vie à visiter différentes localités rurales de Hanoi et à proximité de la capitale. Là, il a photographié les portes de villages, noté les caractères de l'écriture démotique sino-vietnamienne (nôm) et les sentences parallèles gravés sur ces constructions, et a également rencontré les locaux pour étudier la culture de chaque village... Ses travaux lui ont permis de faire un livre intitulé Portes villageoises de Hanoi d'autrefois et d'aujourd'hui, qui vient d'être publié à l'occasion du Millénaire de Thang Long-Hanoi. Après des années d'études sur le sujet, Vu Khiêm Ninh souhaite que les villages conservent et restaurent leurs portes. Que les portes des villages d'aujourd'hui portent toujours l'âme des villages et conviennent aux communications et transports dans ces milieux ruraux.