Un village de chanteurs en plein cœur du pays
Mettre à jour: 29 Septembre 2008
Qui pourrait imaginer que dans ce petit village de pêcheurs du Centre du Vietnam, tout le monde aime chanter et s'y adonne avec brio sur des airs folkloriques ? La première troupe de chèo (chants populaires du Nord) est née au village il y a… 121 ans. Et la tradition perdure pour le plaisir de tous, ravivant la flamme des plus anciens chèo.
Les habitants du village de Tùng, dans le district de Vinh Linh, province de Quang Tri, dans le Centre, vivent essentiellement de la pêche. Ils ne sont pas originaires de ce coin couvert de sable blanc et privé de terre cultivable ; ce sont des "immigrés" venus du Nord.

Au début du 19e siècle, des hommes du Nord débarquent dans cette terre aride. Au vu de sa situation favorable - près de la mer et traversé par le fleuve Hiên Luong, ils décident de s'y installer et, pour gagner leur vie, exploitent les ressources fluviales et maritimes. C'est ainsi que naît le village de pêcheurs de Tùng.

La vie s'écoule au fil de l'eau. De génération en génération, les villageois perpétuent inexorablement le métier de pêcheur. Un métier difficile, qui les oblige à affronter chaque jour de nouvelles aventures sur l'eau, par tous les temps, sous un soleil de plomb, dans les vents violents ou les tempêtes dévastatrices, sur une mer déchaînée. On aime pourtant à dire par ici que plus la vie matérielle est dure, plus la vie de l'esprit y gagne.

Nul ne sait depuis quand les fêtes cultuelles de Câu Ngu (cérémonie propitiatoire dédiée au génie de la pêche) et de Dua tang Ca Ông (funérailles de la baleine) sont organisées. Chaque année, dans une atmosphère solennelle, au village de Tùng, les bateaux sont joliment décorés, de somptueux festins et de riches offrandes préparés, et les tenues de cérémonie, les concerts de tambours et de gongs, et les processions multicolores animent le pays. Le tout se déroule une bonne journée durant, le 15e jour du 2e mois lunaire, avec la participation de tous, enthousiastes. Sans oublier les pièces de chèo, en plein air, devant la maison communale du village, ou quand les pêcheurs se transforment en acteurs…

Un village chantant

Les villageois rappèlent avec fierté l'histoire centenaire de leur troupe de chèo et de leur génie tutélaire Nguyên Huu Nhu Ba, un médecin traditionnel passionné pour les airs folkloriques et musicien de génie. Créée pour la première fois en 1887, la troupe de chèo du village Tùng se professionnalise au fil du temps et finit par se tailler une renommée dans toute la région.

Non seulement les artistes de la troupe, mais aussi les villageois, qu'ils soient hommes, femmes, enfants ou vieillards, connaissent par coeur d'innombrables pièces chantées. Un village chantant, dit-on, avant la triste rupture de 1947 à 1954, celle de la guerre. Comme un phénix renaissant de ses cendres, la troupe de chèo du village des pêcheurs se reconstitue naturellement et le public ne se fait pas attendre. Chose admirable, à côté de nouvelles créations, elle préserve à ce jour des pièces chèo antiques qui font partie du patrimoine culturel national, au dire d'experts.

Le village de Tùng est même devenu une pépinière de talents en airs fokloriques. Il a formé une soixantaine d'artistes officiant aujourd'hui dans des troupes artistiques provinciales et nationales.

La famille descendante du génie tutélaire Nguyên Huu Nhu Ba compte, elle, 14 chanteurs, instrumentistes et musiciens. Parmi eux, nombreux sont ceux qui ont été couronnés de titres par l'État, comme l'"Artiste du Peuple" Lê Thi ou les "Artistes Émérites" Châu Loan, Châu Dinh, Kim Phu, Kim Quy...

En 2005, le vieil artiste amateur Ai Chung, arrière-petit-enfant de Nguyên Huu Nhu Ba, a ainsi décroché le premier prix au Festival national des chants fokloriques. Un brave homme qui impressionne les visiteurs par ses yeux clairs, son teint bronzé et sa belle voix. Avec fierté, le pêcheur doublé d'artiste présente une série de disques sur lesquelles il a pris soin d'enregistrer de "charmants" airs de chèo pour "offrir aux visiteurs", explique-il avec un sourire. Il ne cache pourtant pas son souci. "Les jeunes de nos jours, dit-il, semblent plus intéressés par la musique moderne que par la musique traditionnelle. De tout mon coeur, je souhaite que les chants folkloriques retentissent à jamais dans chaque village vietnamien".

Gageons que dans le village de Tùng, l'appel des sables chantants ne s'éteindra pas de si tôt…
Le Courrier du Vietnam