Le Viet Nam a soumis à l’UNESCO son dossier «Rite et jeu traditionnels du tir à la corde» en vue d’une reconnaissance en tant que patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2015. Une candidature qui mise sur le soutien de plusieurs pays d’Asie, adeptes du jeu.
«Tirer à la corde fait penser plus à un sport qu’à un rituel. Pourtant, c’est un jeu traditionnel associé aux us et coutumes de plusieurs populations du Nord du Vietnam, notamment les ethnies Kinh, Thai, Tày, Nùng, Giay», explique Lê Thi Minh Ly, directrice du Centre de recherche et de valorisation du patrimoine culturel du Viet Nam.
Initié et pratiqué depuis des siècles par les agriculteurs, le tir à la corde (keo co en vietnamien) est perçu à la fois comme activité culturelle et pratique traditionnelle par les Vietnamiens qu’ils soient citadins, campagnards ou montagnards. À travers ce jeu, ils expriment des vœux de fertilité du sol, de paix et de prospérité. Il sert également à resserrer davantage le lien de fraternité au sein de la communauté.
Rite et jeu, indissociables
Les vœux communautaires ont inspiré les règles de ce jeu organisé annuellement lors de la fête printanière du temple de Trân Vu (quartier de Thach Bàn, arrondissement de Long Biên, Hanoi). Tout commence par une cérémonie cultuelle marquée par une procession solennelle et un grand plateau d’offrandes (riz gluant cuit à la vapeur, poulet cuit à l’eau, fruits, fleurs, objets votifs) offert à Trân Vu, un des génies gardiens de la capitale.
Ensuite, place au jeu. Les acteurs - hommes et femmes - sont habillés en costume traditionnel. «Pratiqué un peu partout dans le Nord du Vietnam sur base des mêmes règles du jeu, le tir à la corde diffère dans la façon de tirer selon les régions», éclaire Mme Minh Ly. Elle en cite des exemples : à Thach Bàn (Hanoi), au lieu de se tenir debout comme à l’ordinaire, les tireurs sont tous assis sur le terrain ; tandis qu’à Soc Son (banlieue de Hanoi), la corde à tirer est remplacée par un long tronc de bambou. À Vinh Phuc, une province de la moyenne région, le terrain de jeu est limité par une grande fosse couverte de sable. La corde - faite à base d’un rotang - passe à travers un trou percé sur le poteau planté au milieu de l’aire de jeu. Et comme à Ban Thach, les joueurs sont assis.
Beaucoup de pays d’Asie vivant de l’agriculture pratiquent le tir à la corde.
À Lào Cai, province montagneuse septentrionale peuplée de minorités ethniques, le jeu fait partie intégrante des cérémonies locales comme la fête printanière Poong Pooc à Sa Pa. La corde, fabriquée à partir d’un long rotang, est tirée par deux équipes, l’une masculine et l’autre féminine.
Symbole de l’unité
Selon Lê Thi Minh Ly, loin d’être «purement et simplement» un jeu tel que perçu dans l’imaginaire collectif, le tir à la corde revêt une «valeur culturelle et rituelle historique». Ces derniers temps, il a envahi les milieux scolaires, suscitant une participation massive des élèves lors des cours de gymnastique. De là à dépasser le cadre ludique. En plus de l’aspect sportif, le tir à la corde est le socle rituel et spirituel au sein de la communauté. «L’important, c’est d’en valoriser ces qualités, symboles de l’unité communautaire», insiste Mme Minh Ly. Actuellement, plusieurs provinces et localités dont Ha Noi, Vinh Phuc et Lào Cai ont soumis leurs dossiers au ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme en vue d’une reconnaissance en tant que patrimoine culturel immatériel national en 2014.
Au niveau mondial, le dossier vietnamien «Rite et jeu traditionnels du tir à la corde» attend un éventuel examen de l’UNESCO. S’il est introduit dans la liste de 2015, il sera le premier patrimoine culturel immatériel de l’humanité vietnamien de portée internationale. Car, outre le Vietnam, d’autres pays asiatiques : la Corée du Sud, le Cambodge et les Philippines ont également soumis leur candidature à l’UNESCO.
Règles du jeu
Au Viet Nam comme partout en Asie, les règles du jeu sont identiques : deux équipes de tireurs se dressent l’une face à l’autre, chacune à chaque côté de la ligne transversale dessinée sur l’aire de jeu. Toute l’équipe se tient à la queue leu leu tenant en main la corde à tirer vers son camp. À l’ordre donné, chaque équipe s’efforce de tirer vers elle la corde, sous les sons du tambour et du gong et dans la clameur des spectateurs. La «lutte», souvent disputée dans une série de va-et-vient, prend fin lorsqu’une équipe est entièrement tirée dans le camp adverse. Finalement, tout le monde prend plaisir au jeu, spectateurs, vainqueurs et vaincus.
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Un jeu international
Beaucoup de pays d’Asie vivant de l’agriculture pratiquent le tir à la corde. Au Cambodge, le jeu est organisé un peu partout, à l’occasion du Nouvel An. Il fait partie importante des rites dits Chlong Chet, par lesquels les Khmers rendent hommage au Génie de la riziculture. Aux Philippines, il constitue le rite principal lors des cérémonies religieuses organisées après les récoltes pour remercier leur dieu protecteur. À Singapour, il se pratique dans les cours d’eau (rivière, étang) pour vénérer le Dieu de l’eau. En Corée du Sud, il se caractérise par un grand câble jalonné de nœuds servant de poignées aux joueurs.
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