La
course de pirogues est l’une des festivités les plus importantes de l’année des
Khmers, dans le sud du Vietnam. C’est d’ailleurs le sport roi, là-bas. Cette
embarcation longue et étroite est jalousement conservée dans les pagodes. A
chaque pagode, sa pirogue.
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Photo: Internet
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Presque
toutes les provinces du delta du Mékong organisent des courses de pirogues,
mais c’est celle de Soc Trang qui est la plus importante. Elle a lieu sur la
rivière Masperos, en plein coeur de la ville, au 15ème jour du 10ème mois
lunaire, à l’occasion de la fête d’Ooc Om Boc.
Le
soir précédant le jour J, des foules affluent de partout. C’est une nuit
blanche. La rivière se pare de ses plus beaux habits de lumière. Chaque pirogue
est comme une fleur illuminée. Les rameurs se réunissent par groupe. Les
concurrents du lendemain se livrent à des échanges amicaux et musicaux. Des
répliques de Chay-Zam, tambour des Khmers, le son des flûtes, de la musique
Romvông et des chants amoureux motivent tout le monde.
Le
jour J arrive. Le long de la Masperos, sur deux kilomètres, des dizaines de
milliers de personnes se bousculent. Plus aucune place vide. Il y a beaucoup de
curieux, Vietnamiens et étrangers. Les Khmers eux-mêmes sont tout fiers de leur
tradition ancestrale. Trần Xuân Cảnh, un habitant de Soc Trang, nous fait
savoir :“Pour les Khmers, les sports sont importants. Ils participent à
toute sorte de compétitions sportives, mais évidemment, rien ne peut égaler la
course de pirogues. L’équipe qui gagne va confier toute sa récompense à la pagode
pour contribuer à son édification. Ce n’est pas pour l’argent que les Khmers
participent à la course de pirogues, c’est juste pour le plaisir.”
Ses
80 ans n’ont pas empêché Giang Thích de venir applaudir les concurrents, et
d’expliquer aux jeunes l’origine de ce sport traditionnel. La pirogue, dit-il,
a été créé par une population qui vivait essentiellement de la riziculture
aquatique. Les Khmers, en l’occurrence, se déplaçaient davantage par voie
fluviale que par la forêt, où ils étaient menacés par des animaux cruels. Mais
dans la rivière, il y avait des crocodiles ! Les Khmers ont donc décidé de
faire appel à leur animal sacré - le serpent Nagar - dont ils se sont inspirés
de la forme pour tailler leur pirogue. L’embarcation épouse ainsi cette forme longue,
étroite et recourbée vers ses deux extrémités, la proue légèrement plus basse
que l’arrière, où se trouve le gouvernail. La figure de proue est souvent un
paon, un lion, un tigre ou un éléphant. Les deux côtés du bateaux sont décorés
de motifs d’écailles de dragons, de serpent, de vagues ou encore d’épis de riz.
Pour les Khmers, la pirogue est aujourd’hui un objet sacré qui n’est utilisé
que lors de fêtes importantes. “Je n’ai loupé aucune course de pirogues et
j’encourage mes enfants et petits-enfants à y participer. J’adore ce sport. A
voir cette foule enthousiaste et ces pirogues qui filent à grande vitesse sur
la rivière, j’ai l’impression de retrouver ma jeunesse.”Dit Giang Thich.
Chaque
pirogue est le résultat d’un travail et des contributions financières communes
de tous les villageois. Ce bien commun est conservé scrupuleusement à la
pagode. Un mois avant la course, les pagodes doivent sélectionner les
villageois les mieux portants pour l’entraînement. Tran Van Yen, l’un de ces
rameurs, nous dit : “Chaque pirogue comprend une bonne cinquantaine de
personnes. La plus expérimentée se met à l’avant, les rameurs se trouvent par
les côtés. Au milieu, c’est la personne qui donne le rythme par clairon, une
personne très importante que tout le monde doit écouter.”
Les
rameurs concurrent sur 1200 kilomètres, et les rameuses, sur 800 mètres. Le
jour de la compétition, la rivière Masperos vit au rythme de la musique
pentatonique, de sifflets, de tambour, de haut-parleurs, d’applaudissements et
d’acclamations.