Au Viet Nam, nombreux sont les agriculteurs qui possèdent au moins une deuxième corde à leur arc. En général, c’est d’artisanat qu’il s’agit. Aussi trouve-t-on des agriculteurs-ébénistes ou des agriculteurs-céramistes, par exemple. Eh bien, à Dào Xá, qui est un petit village situé à une cinquantaine de kilomètres du centre-ville de Ha Noi, on trouve des agriculteurs-luthiers. Qui l’eût cru ?
Le village de Dào Xá est connu de tous les amateurs d’instruments de musique traditionnels. Monocordes, cithares, luths… Ce sont des instruments à cordes que l’on y fabrique, à tel point et surtout à un tel degré de maîtrise artisanale que l’on pourrait facilement affirmer que Dào Xá est au Vietnam ce que Crémone fut jadis à l’Italie : la patrie des luthiers. C’est bien simple : dès que l’on pénètre un tant soit peu dans le village, on est saisi par une odeur de bois coupé, d’essence de térébenthine, de vernis…
Cette tradition de lutherie remonte à plus de deux siècles, à l’époque d’un certain Dào Xuân Lan auquel Dào Xá a - c’est bien la moindre des choses dans nos campagnes vietnamiennes - érigé un sanctuaire.
«Mon ancêtre était menuisier, au départ. Et puis, un beau jour, il a rencontré un luthier étranger de renom, lequel lui a transmis son savoir-faire. Et c’est comme ça qu’il s’est reconverti dans la lutherie. Ensuite, il a pris des apprentis sous sa coupe, et assez rapidement, c’est une véritable corporation qui a vu le jour, une corporation dont les origines se trouvent ici, dans ce village», a dit Dào Xuân Mai, l’un de ses descendants.
Vers le milieu du XIXe siècle, les luthiers de Dào Xá ont commencé à se faire connaître à Hanoï, qui s’appelait alors Thang Long. Nombre d’entre eux s’y sont d’ailleurs installés. Mais d’autres encore ont eu l’honneur de mettre leur savoir-faire au service de la cour royale de Huê.
Dào Van Soan est l’un des plus illustres descendants de toutes ces lignées de luthiers de Dào Xá. Il faut dire qu’il a plus de 40 années de pratique à son actif. «La lutherie a connu un développement heureux à Dào Xá avant 1945, pendant la résistance contre les colonialistes français, et même après 1954. Par contre, pendant la résistance contre les impérialistes américains, tout a failli disparaître corps et biens. Après la guerre, certains luthiers ont dû aller exercer ailleurs : à Saigon, à Thanh Hóa, à Nam Dinh...», a dit Dao Van Soan.
Dào Van Soan est formel : pour être un bon luthier, il faut bien sûr savoir travailler le bois, mais aussi être doté d’une excellente acuité, tant visuelle qu’auditive. Pour lui, le choix des bois est absolument déterminant, exactement comme il l’était pour Stradivarius au XVIIIe siècle, Stradivarius qui allait jusqu’à dire que les bons violons naissaient dans les forêts…
À Dào Xá, aucun artisan n’a reçu de formation officielle : tout est affaire de transmission, de génération en génération, à l’ancienne… Comme quoi, les bonnes vieilles recettes… font toujours recette ! Beaucoup de musiciens, vietnamiens ou étrangers, se rendent d’ailleurs à Dào Xá pour commander de bons instruments. C’est le cas de M. Hào, qui vient de Hanoï : «Les instruments de Dào Xá se distinguent de tous les autres. Il faut dire que les luthiers de Dào Xá sont vraiment les meilleurs : ils ont des mains, des yeux et des oreilles en or !...».
De nos jours encore, Dào Xá reste donc l’un des hauts lieux de la lutherie traditionnelle : l’un de ces endroits que l’on apprécie parce que l’on sent obscurément qu’il a su conserver toute son âme…