Le ca trù et son parcours vers l‘UNESCO pour être reconnu comme patrimoine culturel immatériel
Mettre à jour: 29 Juin 2009
Après 4 années d'inlassables efforts, le dossier pour la reconnaissance du ca trù comme patrimoine culturel immatériel à sauvegarder en urgence était enfin soumis à l'UNESCO.

Des interprétations spontanées d'un certain nombre de chanteuses et d'artistes, puis l'apparition de quelques petits clubs indépendants en 1991, le chemin de la renaissance du ca trù (chant des courtisanes), long et tortueux, a été enfin marqué en 2000 par le premier Festival du ca trù de Hanoï élargi. En 2002, grâce au financement du Fonds Ford, une formation a vu même le jour pour se produire et donner des cours. Et le premier Festival national du ca trù 2005 a fixé un point d'appui plein d'espoir pour sa restauration.

Car ces 10 dernières années, le ca trù a réalisé des progrès remarquables, malgré les nombreuses embûches posées sur sa route. À l'appel d'une mobilisation pour sa reconnaissance auprès de l'UNESCO, de nombreux ministères, organismes publics et des individus ont répondu avec enthousiasme, marquant ainsi une forte volonté de préserver, développer et honorer cet art folklorique dont l'histoire remonte à plus d'un millénaire.

Vers le début de l'année 2009, temps fort de la mobilisation, les activités de représentations et de promotions pour le ca trù se sont déployées intensivement. On peut en citer quelques-unes : l'exposition de peintures "Convergences" fin février visant à créer un fonds pour le développement et la préservation du ca trù ; la naissance au début d'avril du Centre de la culture du ca trù de Thang Long (Hanoï), le premier et unique théâtre à offrir des spectacles du ca trù professionnels ; les représentations et les échanges de la culture du ca trù organisés par le Comité de gestion des anciens quartiers en avril dernier, au 87, rue Ma Mây. Sans oublier les activités périodiques de différents clubs de la capitale : Thang Long, Trang An, Hanoï, Thai Hà, Lô Khê… ainsi que des 18 clubs provinciaux de par le pays.

Jongler entre les obstacles

Derrière ces attentes enthousiastes, des problèmes intrinsèques restent à résoudre.

Tout d'abord, trouver un public, maintenant que cet art n'est plus destiné à se produire dans la Cour impériale et qu'il est dépourvu de son image bourgeoise et mondaine du début 20e siècle. Pour l'heure, il n'attire réellement qu'une minorité d'intellectuels retraités, des personnes du troisième âge, des touristes étrangers, et un nombre modeste de jeunes... nostalgiques.

D'autant plus que, si folklorique soit-il, le ca trù est aussi un art académique qui demande aux spectateurs une connaissance de la littérature classique pour en apprécier les subtilités dans chaque mélodie, dans l'émission des vocables ou dans la manière des "redoublés" de la chanteuse. Lors de nombreuses représentations, les organisateurs ont eu l'initiative de fournir aux spectateurs le texte des poèmes concernés et ainsi faciliter le suivi du spectacle. Mais écouter en lisant empêche tout de même d'en savourer la beauté.

D'autre part, malgré des progrès notables au cours des dernières années, les représentations artistiques ne sont pas des plus considérées et ne bénéficient pas de la publicité qu'elles méritent. D'où certains aspects "fin de marché" fort déplaisant, même lors de la Semaine gratuite du ca trù récemment inaugurée au Centre Thang Long : sur cent chaises disponibles, seules plus d'une dizaine étaient occupées.

Même le facteur humain, qui est primordial dans la préservation et dans le développement de cet art, se trouve face à des difficultés. Les chanteuses et chanteurs célèbres de l'époque ont souvent rangé leurs planchettes de bambou et leur luth à trois cordes et beaucoup cache leur loisir de peur d'être jugé par la société (ils sont considérés comme des inviteurs à boire et non comme de vrais chanteurs). À ce propos, la chanteuse Bach Vân, directrice adjointe du Centre de la culture de ca trù de Thang Long confie que lorsqu'elle entendait la moindre petite rumeur sur telle chanteuse de telle région, elle se rendait sur place pour la rencontrer et la faire revenir vers son art. Liée étroitement au facteur humain, la formation s'avère aussi préoccupante. À ce jour, aucune classe ou école n'est vraiment structurée, et toutes manquent de normes, de codification : critères de sélection, durée maximum de formation...

Il faut mentionner également le manque de diversité des oeuvres : les chants entendus et re-entendus s'accompagnent souvent de cette façon nonchalante d'exécution et d'une pauvreté d'équipements scéniques. On éprouve ainsi une impression de lassitude devant les compositions aussi célèbres que : Rose rose neige neige, Rencontre de la chanteuse de jadis, Morceau du luth à 4 cordes, Berceuse à l'entrée de la maison commune... dont les vidéo et les CD audio sont déjà dans tous les commerces...

Pour que l'habit de patrimoine humanitaire ne soit pas trop large. On ne peut nier que le ca trù mérite en urgence d'être reconnu comme patrimoine culturel immatériel. Mais au fond, qu'attend-t-on de cet habit d'honneur si ce n'est que d'éviter la disparition de cet art traditionnel pour ensuite le développer et le préserver en faveur des futures générations. Faudrait-il que le ca trù et bientôt le quan ho (chants alternés de Bac Ninh) tirent les leçons d'autres patrimoines immatériels tels que le nha nhac (musique de cour) et l’espace de la culture de gong de Tây Nguyên ? Les 2 avaient été proclamés patrimoines, mais se sont-ils pour autant vraiment popularisés ?

Outre la rénovation et l'amélioration des représentations et des spectacles de ca trù, qui sont les solutions à court terme pour le rendre attractif, il faudrait renforcer la publicité et la promotion à travers les médias, en profitant par exemple des prochaines manifestations destinées à la commémoration du 1000e anniversaire de Thang Long-Hanoi et des représentations à caractère diplomatique ou de promotion internationale.

La commercialisation du ca trù par l'organisation de spectacles payants, par la vente de tickets inclus dans des circuits touristiques... devrait être reconsidérée d'un point de vue plus ouvert ; l'investissement devrait aussi augmenter, de manière à ce que le ca trù devienne une habitude dans les circuits de la culture traditionnelle.

Cependant, il faudrait veiller à ce que sa restauration et son développement, comme ceux de tout autre art folklorique, ne s'éloignent pas trop de la tradition ni de la couleur nationale. Car une créativité excessive risquerait de lui faire perdre ses caractéristiques d'origine et son esprit primitif...

Un habit neuf, c'est bien, mais à condition qu'il nous aille et qu'il nous embellisse. Il n'en est pas toujours ainsi. Même s'il a une existence pérenne dans le rôle de patrimoine culturel original, le ca trù devra toujours chercher à se développer, de ses forces intérieures ainsi que par des soutiens extérieurs.
Le courrier du Vietnam