Un concours de modelage de to he a eu lieu tout récemment au village de Xuân La, en banlieue de Hanoi. Un événement jamais vu jusqu'ici, qui a fait la fierté des habitants de cette contrée agricole, berceau et fief d'un métier traditionnel presque unique au Vietnam : le modelage de to he.
Il s'agit de petites figurines en pâtes de riz colorées, modelées à la main, servant de jouets bon marché aux enfants. Créé il y a belle lurette dans un village rizicole de la commune de Phuong Duc, district de Phu Xuyên, ce métier était, dans un passé pas si lointain, le gagne-pain principal des villageois de Xuân La.
Mi-juillet 2010. Sous un soleil d'été accablant, le village de Xuân La connaît une atmosphère particulièrement animée. Les gens affluent au dinh (maison communale du village) où se déroule un concours organisé par le club des modeleurs de to he, à l'occasion du 1er anniversaire de sa création. Une trentaine de membres, soit le tiers des effectifs du club, sont prêts à rivaliser de talent. Dans la vaste cour devant le dinh, sont alignés en rang des tables sur lesquelles trônent des tas de pâtes multicolores.
Le départ est donné. Les concurrents se mettent à l'oeuvre devant une foule de connaisseurs. Sous leurs mains habiles, les figurines prennent forme, les unes après les autres, très différentes en forme, en taille et en couleur. On y aperçoit des dragons, phénix, tortues, oiseaux, poissons, chevaux, fleurs... Ou encore des figures humaines comme rois, reines, fées, soldats... Mais aussi le bonze supérieur Duong Tang et ses 4 disciples thaumaturges (un singe, un porc, un monstre aquatique et un cheval) - des personnages célèbres de l'ancien roman chinois Pèlerinage vers l'Ouest.
Le jury ne sait qui choisir. Les figurines sont toutes jolies et vivantes. Les modeleurs font tous preuve d'habileté, de goût esthétique et de créativité.
Modeleurs de to he de père en fils
Tous les habitants de Xuân La s'intéressent à ce métier ancestral auquel ils sont initiés dès l'enfance.
"Ma famille pratique ce métier depuis 4 générations. Quand j'étais gamin, j'aimais bien accompagner mon père au marché. Les affaires marchaient bien, car les to he étaient parmi les jouets préférés des enfants", confie Nguyên Van Thanh, président du Club des modeleurs de to he. Lorsqu'il faisait ses études universitaires à Hanoi, en 1997-2001, Thanh a eu recours à ce métier pour se payer son riz quotidien. Equipé d'une tablette, d'un petit couteau et de pâtes multicolores, il se tenait tous les week-ends au zoo de Thu Lê. L'âge d'or. "En ce temps-là, au zoo comme dans d'autres parcs de la capitale, je croisais souvent mes copains et connaissances de Xuân La", se souvient Nguyên Van Thanh, un brin de nostalgie dans le regard. Avant l'an 2000, bien peu de gens auraient misé sur l'avenir des to he, quelque 500 "artistes de to he" ont dû élargir leur rayon d'action, jusqu'à Hô Chi Minh-Ville, pour gagner leur vie.
Et puis, vers début de ce siècle, la politique nationale d'encouragement des métiers traditionnels a donné un second souffle aux artisans de Xuân La. Petit à petit, le métier a repris de la vigueur. On recense encore plus de 200 professionnels et d'innombrables amateurs de cet art populaire. Chose surprenante, les to he de Xuân La ont, plus d'une fois, passé les frontières nationales pour se montrer à l'étranger.
En 2005, Nguyên Van Thuân, un des meilleurs modeleurs du coin, a été invité à venir "se produire" aux États-Unis, à l'occasion du 10e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre les 2 pays. "Toute une semaine, accompagné des to he, j'ai fait des visites dans de diverses écoles américaines. Là, j'étais ravi d'être entourés des élèves et de leur faire plaisir avec de petits cadeaux vietnamiens", se rappelle avec un brin de fierté M. Thuân.
Les images symboles de la capitale en to he
La création du Club des modeleurs de to he à la mi-2009, composé d'une centaine de membres, a montré la fierté des villageois envers le métier de leurs ancêtres et leur volonté de le conserver.
Ces drôles de figurines multicolores recommencent à ensorceler les enfants et adolescents, et même les étrangers. "De temps en temps, des groupes de touristes étrangers se rendent au village pour admirer les modeleurs au travail. Certains ont des demandes particulières et veulent par exemple une statuette voire leur buste !", s'amuse Dang Dinh Tiên, premier prix du concours de modelage de to he.
Et de se plaindre que ce boulot ne rapporte pas bien gros. La plupart des paysans de Xuân La doivent donc pratiquer d'autres métiers d'appoint comme la sculpture sur bois, l'incrustation de nacre… Même si l'avenir de ce métier n'est pas aussi sombre qu'il l'était il y a encore une décennie, il n'en reste pas moins qu'il est menacé. La plupart des professionnels sont âgés, et peu de jeunes à Xuân La veulent reprendre le flambeau. Ensuite, second problème, l'interdiction des marchands ambulants dans les parcs urbains. Or, ce sont les lieux de travail des modeleurs de to he. "Comment voulez-vous que les jeunes choisissent ce métier si c'est pour être obligé de déguerpir comme un malpropre ?", déplore Nguyên Van Thuân.
Pour saluer, à leur manière, le Millénaire de Thang Long-Hanoi, les modeleurs de Xuân La ont créé, durant un mois entier, des œuvres gigantesques, inspirées de symboles de la capitale, comme un dragon s'envolant, la statue du roi Ly Thai Tô, la pagode à Pilier unique, le Temple de la littérature… Et d'espérer que ces to he entreront dans le Guiness Book du Vietnam.