Au village de céramique de Bàu
Truc dans le district de Ninh Phuoc, province de Ninh Thuân (Centre), l'artisan
Dàng Xem est un homme pas comme les autres. Il est le premier à avoir bravé les
coutumes du village pour produire de la céramique, activité ancestrale
transmise de mère en fille. Son audace et sa créativité ont payé.
Depuis près de 1.000 ans, à l'époque où le roi Po Kalong
Chan fonda le métier de céramique au village de Bàu Truc, celui-ci est exercé
exclusivement par les femmes, transmis de mère en fille... La seule tâche
revenant aux hommes est d'assurer l'approvisionnement en argile du fleuve Quao.
À cette époque, l'idée qu'un homme puisse faire de la céramique était
radicalement étrangère aux villageois de Bàu Truc car, selon la tradition de
l'ethnie Cham, les femmes ont l'exclusivité en la matière tout au long du
processus du modelage à la vente en passant par la cuisson... Il y a plus de
dix ans, les jarres, cruches, vases à fleurs... de Bàu Truc se vendaient mal
avec la dure concurrence d'autres villages tels celui de Bat Tràng (Nord), ou
des produits de Chine et du Japon.
Devant cette situation, Dàng Xem a voulu initier un changement, et depuis 2000,
il participe à la fabrication au sein de sa famille. Il a créé de nouveaux
modèles avec une ornementation et des motifs typiques des Cham tout en
conservant les techniques artisanales traditionnelles. S'il a consacré deux ans
à produire de nouveaux modèles, ses produits s'entassaient dans son jardin
faute d'acheteur. Un jour, un groupe d'étudiants d'une école de beaux-arts est
venue en stage à Bàu Truc. En visitant par hasard la maison de Dàng Xem, ils
ont découvert sa production originale. Voyant les étudiants admirer ses
créations, Dàng Xem leur en a offert quelques pièces et, quelques mois plus
tard, un homme d'affaires est venu lui commander un lot de trois millions de
dôngs, un record du village... Dàng Xem a pris davantage d'assurance tout en
acquérant plus de respect des villageois. Pour lui, cette commande montre que
la céramique est une porte de sortie de la pauvreté pour les villageois. Et
d'ailleurs, les commandes auprès de Dàng Xem sont régulières.
Près de 500 nouveaux modèles
Aujourd'hui, Dàng Xem a plus de dix ans d'expérience dans le
métier. Il a créé près de 500 modèles de céramique en reliefs, vases, tableaux
et statuettes... Il part au Sud comme au Nord pour présenter ses produits et
rechercher des clients. Grâce à ces déplacements, il a découvert une réalité du
marché : ses produits comme ceux fabriqués par d'autres artisans se vendent à
des prix élevés sur le marché, alors qu'à Bàu Truc, leurs prix sont bien
moindres. Avec ce constat, il a compris que vendre directement au consommateur,
sans intermédiaires, accroîtrait significativement ses revenus, et il a donc
investi dans l'ouverture de magasins dans son village. Dàng Xem se souviendra
toujours du 5 août 2004, le jour où il a ouvert son premier magasin. À bon vin
point d'enseigne. Son magasin et son atelier de céramique accueillent beaucoup
de visiteurs. En moyenne, chaque magasin de Dàng Xem réalise des ventes
mensuelles de 50 millions de dôngs avec des Vietnamiens mais aussi des
étrangers. Aujourd'hui, les céramiques de Bàu Truc sont présentes en Allemagne,
au Canada, aux États-Unis et au Japon.
Évoquant ce succès, Dàng Xem, aujourd'hui 50 ans, déclare
que "pour conserver et développer le métier traditionnel, fabriquer des
produits culturellement représentatifs, l'artisan doit faire beaucoup d'efforts
pour créer de nouveaux modèles conservant le cachet de l'ethnie Cham. Les
objets doivent exprimer l'affinité et la vivacité de la culture des Cham".
Suivant son exemple, les céramistes de Bàu Truc, les hommes
surtout, sont devenus plus audacieux au regard de ce métier. Ils diversifient
les modèles, créent des objets d'art tout en conservant les techniques traditionnelles.
Le métier de la céramique du village de Bàu Truc connaît une véritable
renaissance. Environ 400 familles, soit 80% des foyers du village, exercent ce
métier désormais. Des dizaines de boutiques et magasins de produits céramiques
sont ouverts, et toujours bien achalandés.
Transmettre les traditions aux jeunes générations
Il y a quelques années, Dàng Xem a entendu parler d'un
projet d'usine de céramique au sein du village. Il n'a pas été d'accord car
pour lui, les céramiques de Bàu Truc doivent être faites à la main,
artisanalement. Si on les fabrique industriellement, elles perdront leur cachet
caractéristique de Bàu Truc, c'est-à-dire l'âme, le coeur, la créativité et
l'habileté de l'artisan. Dàng Xem a réussi à convaincre les autorités locales qui
ont annulé ce projet.
Pour conserver et développer le village de métier, Dàng Xem
a demandé l'aide du Centre d'encouragement aux travaux artisanaux et du Centre
de formation professionnelle de la province de Ninh Thuân pour ouvrir des
formations professionnelles gratuites pour les jeunes et élèves de l'école
primaire au lycée. Ces formations sont organisées pendant l'été, et entre 2006
et 2011, Dàng Xem en a animé 14 au profit de 400 élèves. Dàng Xem a également
donné des cours dans plusieurs collèges et lycées des villes et districts de la
province de Ninh Thuân. Jour après jour, il contribue à faire revivre ce métier
de la céramique de Bàu Truc, artisanat de l'ethnie Cham.