Siroter son
petit noir, à croupeton sur un minuscule tabouret, en laissant flâner son
regard dans la rue: voilà bien un passe-temps typiquement hanoien, que d’aucun
appellent même «culture du café». Quoi de plus agréable, en effet, que de
commencer une journée dans un petit bistrot du vieux quartier?
Le café nous
vient de l’Occident, des français, plus précisément, qui l’ont introduit chez
nous à l’époque coloniale. Pour les Hanoiens, le café fait partie de ces petits
plaisirs de l’existence que l’on doit savoir savourer comme il se doit, avec
volupté, certes, mais aussi avec nonchalance et surtout, sans précipitation.
Souvent, on le déguste lentement, en lisant le journal, en écoutant de la
musique ou en papotant avec des amis. Ou bien, pour celles et ceux qui se
sentent en verve, il sert de prétexte à de vagues considérations métaphysiques,
à ces fameuses «brèves de comptoir», souvent aussi fumeuses que lui, mais dont
on peut faire d’attendrissants florilèges à l’occasion.
Les cafés de
Hanoi ne sont pas tout à fait comme les autres, d’abord parce qu’ils sont
installés très souvent au bord des très nombreux lacs dont est parsemée la
ville, mais aussi parce qu’il s’en dégage un art de vivre unique,
particulièrement sensible dans le vieux quartier. Là, on trouve de ces
établissements anciens dont la renommée n’est plus à faire. Et si Paris a ses
cafés de Flore ou des Vieux Magots, Hanoi a ses cafés Giang, Lâm, Nhân ou Nhi:
autant d’enseignes qui renvoient à une vie culturelle ou artistique
foisonnante. Le café Lâm, par exemple-rue Nguyên Huu Huân, pour tous ceux qui
ne manqueront pas de vouloir s’y précipiter sitôt terminé ce reportage- était à
une certaine époque le lieu de rendez vous de nombreux artistes ou hommes de
lettres tels que Nguyên Sang, Bui Xuân Phai, Tô Ngoc Vân ou Van Cao... Plusieurs
tableaux ornent encore ses murs, témoins d’une époque héroique où les oeuvres
étaient laissées en gage par des artistes sans le sou. Aujourd’hui, c’est Bich
qui tient le café, et qui se sent dépositaire d’un véritable héritage culturel.
Elle nous confie: « Nous préservons
notre café qui est très apprécié. Tous les hanoiens dignes de ce nom
connaissent le café Lâm. Pensez donc! 60 ans d’existence! C’est une vraie
histoire d’amour! »
Dans n’importe
quel café de Hanoi, on peut trouver 3 sortes de café: noir et chaud, au lait,
ou avec glaçons. Mais au café Giang, il y aussi le café à l’oeuf, qui rencontre
un beau succès auprès de la clientèle. Nguyen Tri Hoa est le fils du
propriétaire du café Giang: « Mes
parents ont créé ce café à l’oeuf bien avant ma naissance. Ce sont eux
qui m’ont appris le métier, depuis la torréfaction jusqu’à l’accueil des
clients. Notre spécialité reste bien sûr le café à l’oeuf. Avant, on ne le
servait que chaud, mais maintenant on peut le servir glacé. Mais vous savez,
les occidentaux aiment ausi le café à l’oeuf! »
Eh oui, même
les occidentaux! Ecoutons ce qu’en dit Mark Lowerson, un australien qui a goûté
le café à l’oeuf: «J’aime siroter un café noir dans le vieux quartier en
laissant mes pensées vagabonder. Un jour, j’ai eu la surprise de voir sur la
carte un café glacé, aux oeufs. Pour moi, c’était un mélange tout à fait
iconoclaste! Le café, c’est le café, les glaçons, ce sont les glaçons et les
oeufs, ce sont les oeufs! Mais bon, la vie est faite d’expériences! J’ai donc
commandé ce fameux café en espérant que ce ne serait pas une vague omelette
accompagnée d’une tasse de café. En fait, j’ai vu arriver une tasse de café
noir remplie sur le dessus d’une couche crémeuse épaisse. C’était le fameux
café à l’oeuf. Au goût, ça a un peu la consistance du café au lait, sans être
trop sucré! J’ai adoré! Maintenant, je ne jure plus que par le café Giang!».
Hanoi a
beaucoup évolué ces dernières années, et on a vu apparaître de nouvelles
tendances, de nouveaux goûts, y compris en matière de café. Des cafétérias
modernes de style occidental ont fait leur apparition dans les hôtels, et on
peut désormais boire un expresso ou un cappuccino dans notre capitale.
Mais les hanoiens de souche regardent toutes ces nouveautés avec un
certain dédain. Ils préfèrent leurs petits cafés, avec leurs salles étroites,
leurs tabourets, leurs graines de pastèque, et surtout cette discrète mais
inimitable convivialité qui fait qu’on s’y sent bien et qu’on se demande bien
pourquoi certains s’échinent à chercher leur bonheur à Las Vegas!./.