C’est
au nord des Hauts-plateaux du Tây Nguyên que nous nous rendons aujourd’hui pour
découvrir les rongs, ces fameuses maisons communales des ethnies Jarai, Banar
ou Sedang.
Les rongs sont le théâtre des évènements importants de la vie d’un
village. C’est là que les patriarches tiennent conseil, là que sont célébrés
les rites traditionnels, là que les artisans transmettent leur
savoir-faire aux jeunes générations. Allons donc voir d’un peu plus près à quoi
ressemble un rong : ce sera dans la province de Kontum, chez les Banar.
Le rong est souvent édifié immédiatement après la
fondation du village. Toute la communauté participe au labeur : les uns vont
couper de hautes herbes pendant que les autres abattent des bambous… Les
vieillards sont bien sûr dispensés des travaux de force. C’est par contre à
eux, étant donnée l’expérience qui est la leur, qu’il revient de choisir le
terrain, ce qui n’est pas une mince affaire, si l’on en juge par le temps
qu’ils y passent. Idéalement, le rong se situe sur un léger promontoire, à un
emplacement assez aéré en été et plutôt tiède en saison des pluies. Mais surtout,
il doit occuper une place centrale dans le village, sa toiture devant être
visible de tous.
La durée des travaux est proportionnelle à la taille
de l’édifice. Certains rongs sont achevés au bout de quelques mois seulement,
d’autres peuvent demander jusqu’à un an de labeur. C’est le cas de celui du
village de Kơ Bơng, un village rattaché à la commune de Dak Rơ Wa, dont les
dimensions sont imposantes : 16 mètres de hauteur pour 14 mètres de longueur et
5 mètres de largeur. A Jun, l’un des patriarches du village en question, nous
raconte : “La maison communale de notre village a été édifiée en 2002. Elle
a été construite par tous les villageois. Les tâches ont été réparties
entre plusieurs groupes de 30 personnes, environ. Il y a ceux qui devaient
couper les hautes herbes pour les faire sécher, ceux qui devaient couper du
bois ou du bambou… En tout, il nous a fallu une année de
travaux.”
Le rong est non seulement l’endroit où se déroulent
les rites traditionnels et les fêtes, mais aussi une sorte d’espace plus ou
moins sacré qui réunit l’ensemble de la communauté villageoise. A Nhôn, 83 ans,
l’un des patriarches du village de Kon Sơ Lam, indique : “Ces maisons sont
le lieu où les patriarches se réunissent avec les représentants des villageois
pour tenir conseil. Elles existent depuis très longtemps. Leur taille dépend de
l’envergure de chaque village.”
Au fil du temps et surtout des mutations nées de
l’urbanisation galopante et des bouleversements sociaux de ces dernières
années, certains rongs sont tombés à l’abandon. Heureusement, les autorités
locales, conscientes de l’importance patrimoniaux de ces maisons, ont pris les
mesures adéquates pour en assurer la préservation. Dans la province de Kontum,
le comité du Parti a même adopté une résolution grâce à laquelle presque tous
les rongs ont pu retrouver leur éclat original.
En dehors des fonctions qui lui sont
traditionnellement dévolues, les rongs se prêtent désormais à de nouvelles
nécessités, plus en rapport avec l’époque qui est la nôtre. Chez les Banar de
Kontum, tous les lundis matins, c’est dans les rongs que sont levées les
couleurs. A Banh, chef du village de Kon Klor, un village rattaché à la commune
de Dak Ro Wa, nous fait savoir : “Le lundi matin, je profite de la
cérémonie du lever des couleurs au rong pour dresser le bilan des travaux de la
semaine précédente et la liste des tâches à accomplir dans le courant de la
semaine qui commence. C’est aussi au rong qu’ont lieu les campagnes de
vaccination. En général, les gens sont nombreux à venir au rong : tout ce qui
s’y passe concerne leur vie quotidienne.”
Les rongs des hauts plateaux du Tây Nguyên
constituent donc une particularité culturelle des ethnies de la région. Les
préserver, c’est préserver le coeur-même des villages, l’endroit où sont
gardées les vieilles légendes. Grâce à leurs rongs, les villageois ont un
repère dans leur vie spirituelle : tout en restant profondément attachés à
leurs traditions ancestrales, ils peuvent ainsi vivre pleinement le temps
présent.