Les
vieilles rues de Hanoi offrent au badaud de véritables bouquets d’effluves en
tous genres au gré desquels les miasmes voisinent avec les arômes les plus
subtils. Odeurs de viandes grillées, d’encens… Toutes se mêlent et participent
à l’effervescence des lieux. Et puis, voilà que certaines fragrances semblent
vouloir se détacher et guider le marcheur vers une rue bien précise: la rue Lan
Ong, qui est la rue de la pharmacopée orientale.
C’est
à l’odeur que l’on reconnaît la rue Lan Ong, ainsi nommée en hommage à un
médecin illustre du Vietnam. Et comme dans deux jours (FM : aujourd’hui), ce
sera (FM : c’est) justement la journée des médecins vietnamiens, c’est dans
cette fameuse rue que nous avons maintenant rendez-vous.
Lan Ong est une rue du vieux quartier de Hanoi. Ce
quartier, que d’aucuns appellent aussi quartier des 36 corporations, a la
particularité d’avoir autant de spécialités artisanales que de rues. En ce qui
concerne la rue Lan Ong, il suffit de s’y trouver et de faire fonctionner son
odorat pour comprendre quelle en est la spécialité. C’est à tel point vrai que
son nom ne nous renseigne absolument pas sur ce point: ce serait inutile! De
toutes façons, les boutiques qui s’y accotent les unes aux autres sont bien
assez évocatrices avec leurs bocaux de ginseng ou leurs sachets de champignons
Linh Chi. Autrefois, on déposait ces ingrédients sur de petites balances
romaines pour les peser. Maintenant, les balances Roberval ont fait leur
apparition, permettant de traiter des quantités plus importantes. Quant au
découpage, il est également motorisé, d’où un gain de temps. Pour ce qui est de
la poésie, par contre!... Heureusement, certaines boutiques utilisent encore
des broyeurs scaphoides à molette pour préparer des poudres.
Et bien que la physionomie de la rue ait changé, les
bâtisses qui s’y trouvent ont su conserver cette teinte un peu ocre qui lui
confère un caractère légèrement mélancolique, que viennent souligner les arômes
qui se dégagent des boutiques. Thanh Nga est la propriétaire de l’une de ces
boutiques: "Ça fait une bonne trentaine d’années que l’on pratique ce
métier, dans ma famille. C’est une tradition ancestrale. Les articles
vendus ici sont essentiellement les ingrédients de la pharmacopée orientale,
dont notre rue est d’ailleurs un haut lieu à Hanoi. On peut y trouver du
ginseng, des champignons Linh Chi, des angéliques de Chine… Actuellement, nous
avons beaucoup de clients qui viennent nous voir pour compléter leurs
ordonnances de médecine occidentale ou tout simplement pour trouver de quoi se
maintenir en bonne santé."
Rue Lan Ong, il n’y a pas que des boutiques de
pharmacopée orientale, il y a aussi de petits cabinets de consultation où des
praticiens vous tâtent le pouls et vous prescrivent des ordonnances. Bien
souvent, d’ailleurs, ils se contentent d’examiner votre teint. Sinon, dans
chaque boutique, on peut trouver, en bonne place, un portrait de Hai Thuong Lan
Ong, le maître des lieux à plus d’un titre. Et adossées aux murs, ce sont ces
fameuses armoires dont chaque tiroir correspond à un ingrédient bien
spécifique. Mais pour en revenir à la pharmacopée ou à la médecine orientale,
il faut savoir que c’est une pratique essentiellement héréditaire, qui tient
pour beaucoup du secret de famille. Du côté des patients, on cherche surtout à
se rassurer. Phạm Xuân Nội est un praticien. Il a pratiqué ce métier toute sa
vie: "En médecine orientale, il y a 4 choses essentielles dans une
consultation: voir, écouter, interroger et tâter les pouls. Il faut combiner
ces 4 éléments de manière astucieuse pour pouvoir établir un diagnostic
correct."
Au fil du temps, la rue Lan Ong est toujours de plus
en plus peuplée. Mais elle semble résister aux assauts de la modernité et
offrir, en plein coeur de Hanoi, un peu de cette sagesse ancestrale dont nous
avons tant besoin.