Shangri-La de mes rêves de vingt ans, le Tây Bac (Nord-Ouest) me séduit depuis toujours. Sans parler de l’auréole de Diên Biên Phu dont il s’est couvert en 1954.
Une visite de quatre jours à Môc Châu, plateau à plus de 1.000 m d’altitude, m’a donné l’occasion de mieux apprécier le pittoresque et le charme des groupes ethniques de cette immense région frontalière. J’y suis venu pour assister au premier Festival culturel et sportif des ethnies du Tây Bac (organisé à la fin de l’hiver 1992).
Le Viet Nam présente une véritable mosaïque ethnique. Selon l’ethnologue Georges Condominas, «une carte ethnolinguistique en couleurs de cette région du monde a la beauté d’un tableau abstrait ou tachiste réussi... La variété des couleurs et leur enchevêtrement atteignent un degré de complexité extraordinaire».
Richesse culturelle des groupes ethniques
Les Viêt (ou Kinh), qui représentent 88% de la population, se concentrent dans les plaines. Les 53 autres ethnies, au total 5 à 6 millions d’habitants, peuplent essentiellement les montagnes qui s’étendent sur les deux tiers du territoire national. Au Festival de Môc Châu sont représentés une dizaine de groupes ethniques des trois provinces de Hòa Binh, Son La et Lai Châu : Thai, Muong, H’Mông, Dao, Hà Nhi.
Le spectacle se déroule dans un cirque entouré de pitons calcaires dont les cimes flottent dans les nuages. Le défilé et les mouvements d’ensemble inauguraux au stade du district sont une fête pour les yeux : les costumes folkloriques multicolores se mêlent aux blousons, T-shirts et jeans. Les jeux traditionnels font la joie d’une foule bariolée : tir à l’arbalète exécuté par de jeunes H’Mông à la jupe fleurie, fusils rudimentaires dits súng kíp, balle de cotonnade (papas) lancée entre filles, et garçons, grosse toupie, còn (peloton d’étoffe lancé à travers un cercle fixé au haut d’un mât...).
Le volley-ball et le foot-ball ajoutent une note moderne ainsi que quelques instruments de musique occidentaux pour accompagnement. Les instruments de musique autochtones répercutent les mille bruissements et palpitations de la montagne et de la forêt : khèn en tubes de bambou et d’autres flûtes de bambou, feuille d’arbre que font vibrer les lèvres, vielle grinçante...
«Aimer, aimer pour de bon, aimer beaucoup !
Tant d'années sans descendre au fleuve
Oh ! La nostalgie de la barque !
Nostalgie de la berge !
Oh ! La nostalgie de celles qui repiquent et moissonnent le riz !
S’aimant entre garçons et filles».
La vie des locaux s’améliore de jour en jour
Les chants d’amour en différentes langues fusent et se perdent dans la verdure. Cinq jeunes filles Hà Nhi ont fait une marche de cinq jours à travers monts et gués pour rejoindre l’endroit d’où un autobus les a conduites au festival. Rien que pour le plaisir de chanter une romance accompagnant une danse de dix minutes. Ce fait seul montre la soif culturelle des gens vivant dans les vallées perdues ou sur les hautes crêtes.
Cette soif est d’autant plus grande que, depuis quelques années, la vie économique dans ces montagnes s’est quelque peu améliorée pour certaines couches de population grâce à l’adoption de l’économie de marché. De nombreux foyers de Hòa Binh se font une vie aisée en vendant des cannes à sucre violettes aux gens de la plaine. Les abricots et les prunes apportent des revenus appréciables à des familles de Môc Châu. Ce plateau possède notamment des fermes d’État pour la production de lait et de thé.