Rien ne saurait leur manquer pour célébrer dignement le Têt, car même si la modernité est de plus en plus présente dans leur vie quotidienne, ils restent farouchement attachés à leurs valeurs traditionnelles. Cap sur la province de Dien Bien, donc, et plus précisément sur la commune de San Mum, où nous attend un certain Ca Van Dinh.
Debout devant l’autel des ancêtres, Ca Van Dinh prie pour que l’année nouvelle soit placée sous le signe de la chance et de la réussite. Nous en sommes déjà au quatrième jour de la nouvelle année, pour la famille de Ca Van Dinh, c’est celui du dernier festin familial et des derniers objets votifs que l’on brûle pour raccompagner l’âme des ancêtres. Il y a en effet un dicton qui dit que le premier jour de l’année est réservé au père, le deuxième à la mère et le troisième à l’enseignant. Passé le troisième jour, il appartient à chaque foyer de choisir le jour qui lui paraît bénéfique pour brûler les objets votifs destinés aux ancêtres, dire adieu à ces derniers et ainsi clore les festivités du Nouvel An lunaire.
Après les rites du culte des ancêtres, Ca Van Dinh rejoint ses enfants et ses petits enfants pour festoyer avec eux. Il en profite pour leur faire un véritable exposé sur les coutumes et les rites de son ethnie. C’est nécessaire, pour lui, de transmettre ainsi toutes ces traditions à ses descendants car qu’il se porte encore bien, il assure le culte des ancêtres, mais à l’avenir, il devra passer le relais à ses enfants.
Nous devons rapporter aux ancêtres que cette année, nos vergers ont donné des papayes, nous raconte Ca Van Dinh. Ça tombe bien parce que la papaye, c’est le premier fruit qui est déposé sur le plateau d’offrande : il symbolise l’opulence. Ensuite, il y a des oranges, des mandarines, des bananes et une branche de pêcher. Pour la branche de pêcher, on peut en acheter ou en couper une soi-même. Quant au festin, il doit comporter un certain nombre de plats traditionnels. Tout doit être très soigneusement préparé à l’avance. La canne à sucre, la main de bananes, le poisson, le poulet… tout doit être bien préparé !
Ca Van Dinh rappelle aussi à ses enfants que le Têt n’est pas seulement l’occasion de se réunir en famille mais aussi l’occasion de rencontrer ses voisins.
Durant le Têt, on prépare souvent des festins pour la famille, mais aussi pour les habitants du village, dit-il. Ces festins sont indispensables, surtout ceux qui ont lieu avec les autres habitants du village. Une famille nombreuse, c’est une famille heureuse. Au sein d’une même lignée, on doit répartir les festins. Il y en a qui ont lieu le matin, d’autres qui ont lieu le soir, comme ça tout le monde peut y participer.
Au sein d’une même lignée, ce sont les familles les plus nombreuses qui festoient les premières.
Il y a des familles comprenant trois, deux ou une génération, dit Dinh. Alors le premier jour de l’année est réservé aux familles de trois générations, le deuxième aux familles de deux générations et le troisième aux familles d’une génération. Plus la famille a de générations, plus elle est censée recevoir de convives.
Chez les Thais noirs, les rites sont à la charge des hommes tandis que les femmes s’occupent de la cuisine et du réaménagement du foyer. Les Thais ne sont pas trop exigeants dans la confection des plats, mais attention toutefois, pas de Têt sans bouillons aux pousses de bambou ou sans viande grillée. Lo Thi Luong, la femme de Ca Van Dinh, nous raconte que dès l’enfance, les femmes sont initiées aux travaux ménagers et que les plats du Têt traduisent leur talent.
Les jours du Têt, on ne mange pas de canard, mais du poulet et des viandes grillées, dit Lo Thi Luong. Durant le Têt, personne n’a faim, alors on prépare souvent des aliments secs qui sont rapidement prêts. Auparavant, on n’avait pas de frigo, alors les aliments secs, c’était pratique. Mais maintenant, évidemment, avec les frigos, on peut conserver de la viande crue.
Dans les festins des Thais noirs, le poulet et le poisson symbolisent la terre et l’eau. Autant dire qu’ils sont rigoureusement incontournables ! Mais il faut savoir que le poulet se déguste aussi en salade comme nous l’explique Ca Thi Dung, la fille de Ca Van Dinh.
Une fois que le poulet est cuit à point, on y ajoute du poivre, du piment, des gousses d’ail et du persil, et on le découpe en petits morceaux. Tout le monde sait préparer ce plat !
Un plat simple, donc, mais qui a des vertus digestives, apparemment.
Pour aller avec le poulet, il faut varier les saveurs : piquant, sucré, amer… Ça facilite la digestion, insiste Ca Van Dinh.
Ca Van Dinh a une belle-fille qui est une Thai blanche : Phuong, qui essaie de s’initier aux coutumes locales en suivant les recommandations de ses beaux-parents. C’est ainsi, par exemple, qu’elle se lave les cheveux avec de l’eau de riz l’avant-veille du jour de l’an.
Dans les jours qui précèdent le Têt, on se rend souvent près des sources ou des cours d’eau, dit Lo Thi Luong. On n’apporte pas d’aliments de peur qu’ils ne soient emportés vers la mer. On prie pour que la malchance soit évacuée avec les poissons et les crevettes. Et puis on conserve l’eau qui nous sert à laver le riz pour laver nos cheveux juste avant le Têt.
Ca Van Dinh et son épouse sont intarissables lorsqu’il s’agit de parler des coutumes traditionnelles de leur ethnie. Ils entendent bien que leurs enfants les observeront eux aussi, ces coutumes, et avec respect !