Depuis des siècles, Duong Côc, de la commune de Dông Quang, district de Quôc
Oai (Hanoi), est connu comme un village exclusivement agricole. Peu de gens
savent cependant que ses laborieux paysans sont de fervents amateurs de tuông
(théâtre classique).
Le village de Duong Côc se trouve à 25 km du centre
de la capitale Hanoi. Sa population vit essentiellement de la production
agricole. Les villageois passent leur journée aux champs, mais lorsque la nuit
tombe, certains se mutent en de véritables acteurs. C'est chose courante dans
ce village, bien que ces deux aspects de leur vie semblent n'avoir aucun
rapport entre eux.
Selon Nguyên Van Ly, président du club des amateurs de tuông à Duong Côc, les
villageois ont pris goût par hasard à ce genre théâtral. C'était en 1967, au
plus fort de la guerre. Les acteurs de la troupe de tuông de la Ve région
militaire (Théâtre de tuông de Dào Tân de la province de Binh Dinh d'aujourd'hui)
avaient été évacués à Duong Côc pour échapper aux bombardements.
Les artistes chevronnés du Théâtre de tuông de Dào Tân se souviennent
toujours des huit ans où ils se sont établis au village de Duong Côc, avec un
accueil des plus chaleureux. Les villageois leur ont accordé un terrain public
situé au début du village pour installer les habitations, et la scène... Les
habits et accessoires du théâtre étaient sous la bonne garde des villageois.
Enfants et adultes, femmes et hommes : tout le monde aimaient ces artistes.
Et c'est à leur contact que les villageois se sont pris de passion pour cet
art. Tous les soirs, les habitants de Duong Côc se réunissaient à la maison
communale pour apprendre le théâtre classique. Ils ont fondé également le club
de théâtre classique du village de Duong Côc. Chose qui au premier abord peut
paraître étonnante, c'est que les villageois de Duong Côc se sont vite montrés
très doués pour cet art traditionnel, assimilant les techniques difficiles,
même pour les artistes professionnels.
Pendant ces années de guerre, la vie était difficile mais les habitants
gardaient leur enthousiasme. L'ambiance artistique était visible partout dans
le village. Les sons de tambours, les chants des spectacles de tuông animaient
la maison communale, chaque maison, et retentissaient même dans les champs.
Au fur et à mesure, avec l'aide des acteurs de la troupe, les villageois se
sont perfectionnés et ont réussi à monter leur propre troupe qui a même
effectuée des tournées dans différentes localités. "Au début, nous ne
donnions des spectacles que pour les habitants de la commune, ou de districts
voisins", raconte le président du club. Après, le club villageois a
participé à des festivals provinciaux, puis nationaux. Aux festivals nationaux
de tuông amateur, ses pièces, au nombre d'une quarantaine, ont été
vivement applaudies par l'assistance. Des centaines de satisfecit et de
médailles ont d'ailleurs été décernés aux membres de la troupe et à la troupe
elle-même, preuve d'un indéniable talent.
Fin 2006, au Festival de tuông amateur organisé dans la province de Binh Dinh
(Centre), sa pièce Le soleil brille sur le ruisseau Pang Poi a reçu le premier
prix. "Les satisfecit et prix du club sont la preuve que nos artistes
sont récompensés de leurs efforts", déclare Nguyên Van Ly avec fierté.
Transmettre le tuông aux jeunes
Actuellement, la troupe de tuông de Duong Côc, fondée il y a maintenant 45 ans,
ne compte plus que 24 acteurs et musiciens. Les artistes comme Nguyên Van Ly et
le couple Nguyên Bich Hao-Nguyên Huy Thuong en constituent le noyau.
"Je suis passionné par le +tuông+ depuis mon enfance. Lorsque j'entends
le son des tambours, j'arrête tout ce que je suis en train de faire et je cours
vers la maison communale !", confie Nguyên Bich Hao, 59 ans. C'est
grâce au tuông qu'elle a rencontré l'homme de sa vie avec lequel elle vit
aujourd'hui. Participant au club villageois depuis 1972, ils nourrissent à la
fois leur passion pour l'art et leur propre amour. Durant 40 ans, elle et son mari,
bouchers de profession, se sont constitués une sacrée collection de médailles
d'or !
Chez les familles de Nguyên Ngoc Binh et Nguyên Huu Thiêt, on joue dans la
troupe depuis trois générations. Les personnes âgées comme Nguyên Van Kham, 96
ans, qui ne peut plus monter sur la scène en tant artiste, se rend de temps en
temps à la maison communale pour voir jouer ses descendants. Ou encore Nguyên
Ngoc Binh, 75 ans, qui participe toujours au club en tant que musicien. Ce
vieil instrumentiste amateur a aujourd'hui un passé de 45 ans en tant que
membre du club. Inutile de préciser qu'il a donc été un des piliers de sa
création.
Aujourd'hui, plusieurs sont septuagénaires et s'activent à transmettre le tuông
aux jeunes, avec des cours d'initiation organisés à leur intention. "Nous
espérons que nous pourrons transmettre cet art aux futures générations. Nous
voulons que les jeunes reprennent le flambeau avec la même passion qui nous
anime", confie l'artiste amatrice Nguyên Bich Hao. Et d'ajouter : "Nous
sommes prêts à consacrer notre temps et notre énergie, sans se soucier d'une
quelconque rémunération, à apprendre l'art à nos jeunes pousses".
Afin de couvrir les dépenses courantes (accessoires, costumes, décors…), en
plus des crédits accordés par les villageois, les membres de la troupe
apportent aussi leur part, et ce de leur propre gré. Par ailleurs, la troupe
bénéficie de l'aide financière et technique des autorités locales ainsi que de
celle du Théâtre central de tuông.
Perpétuant la tradition de leurs aînés, de jeunes
talents comme Nguyên Kim Huê ou Nguyên Van Huong se sont distingués lors de
festivals de la capitale ou d'autres provinces.
Depuis près d'un demi-siècle au village de Duong Côc, le tuông reste
dans le cœur de ses habitants. Pendant les fêtes villageoises ou les jours du
Nouvel An, les artistes du club se réunissent jusqu'à minuit pour répéter les
spectacles. Pour eux, l'art traditionnel, c'est avant tout une histoire de cœur
et d'esprit.