Autour de Hanoi, subsistent toujours ce que l’on a
coutume d’appeler des «villages de métier», c’est à dire des villages dont
pratiquement tous les foyers se consacrent à une même activité, souvent
artisanale. Et les domaines d’activité sont aussi divers que variés: ça va de
la menuiserie à la céramique, en passant par la soie. Mais l’agriculture n’est
pas en reste. Si, comme nous vous le disions à l’instant, la plupart de ces
villages sont des villages artisanaux, certains ont su faire de tel ou tel type
de culture une spécialité. C’est par exemple le cas du village de Thúy Lĩnh, où
les cultures maraîchères tiennent lieu de métier traditionnel depuis plus d’un
siècle.
Tous les jours, ou plutôt toutes les nuits, vers 1
heure du matin, les champs qui entourent le village de Thuy Linh résonnent
d’une rumeur insolite. Vus de loin, ils donnent l’impression d’être survolés
par une armada de lucioles. C’est que les cultures maraîchères sont une affaire
de noctambules, comme nous l’explique Vũ Thị Hiến, qui du haut de ses 51 ans,
se lève toujours à minuit pour récolter les légumes qu’elle vend ensuite sur
les marchés. Eh oui! Question de fraîcheur, en fait! Des légumes récoltés la
veille, même en fin d’après-midi, auraient tôt fait d’être gâtés: Vers 1 ou
2 heures, tous les champs sont éclairés par des lampes. Tout le monde est aux
champs pour récolter les légumes. C’est dur de se réveiller si tôt, mais on
s’habitue. Et croyez-moi, quand il y a de la brume ou qu’il pleut, il faut un
sacré courage! Cela dit, il y a un système d’irrigation qui nous évite d’avoir
à transporter l’eau à dos d’homme, c’est déjà ça!
C’est déjà ça, oui! Et c’est même un sacré progrès.
En l’an 2000, les maraîchers de Thúy Lĩnh se sont installés des serres
couvertes de filets sur plus de 6 mille mètres carrés. Bien leur en a pris!
Question qualité et rendement, l’amélioration est évidente. Mais surtout, il y
désormais ce fameux système d’irrigation dont nous parlait Vũ Thị Hiến. La
coopérative agricole a fait forer 3 puits et installer des pompes pour assurer
l’arrosage. Du coup, les champs sont irrigués en permanence et les agriculteurs
ne sont plus astreints à cette corvée qui consistait à transporter de l’eau à
dos d’homme. Sans compter que pour ne rien gâcher, le comité populaire a fait
construire une station d’épuration d’eau, pour le plus grand bonheur des
villageois. Vũ Thị Hiến confie: Depuis qu’on a de l’eau en permanence,
on est très content! Beaucoup de gens se sont même remis aux cultures, après
les avoir abandonnées. Grâce à ce système, je ne suis plus obligée d’aller
chercher de l’eau dans les rizières ou les étangs et de me coltiner 2 arrosoirs
accrochés à un fléau qui me meurtrit les épaules! Heureusement que depuis 10
ans, nous avons ce système. Ca change tout!
Les légumes de Thuy linh se sont petit à petit faits
une belle place sur les étals des marchés. Quant à la culture en serre, elles
se sont rapidement étendues pour couvrir désormais 20 hectares de terre arable.
Et les chiffres parlent d’eux-mêmes: pour un hectare, le bénéfice annuel est
d’environ 320 millions de dôngs. Il y a de quoi rester motivé, même s’il faut
se lever à minuit! Et ce n’est certainement pas Lê Thị Ngọt qui nous prétendra
le contraire: Nos légumes répondent pleinement aux critères écologiques. Ils
sont arrosées et lavés avec de l’eau propre. Et aux bouts des champs, il y a
des bassins pour le lavage. La tuyauterie est gratuite, mais c’est nous qui
payons l’eau. En fait, pour 360 mètres carrés, il faut compter 40 mille dôngs
par mois.
Le village de Thuy Linh a donc opéré sa révolution
agricole, au point de pouvoir aujourd’hui revendiquer une marque commerciale.
En 2004, il a été reconnu comme étant l’une des 4 zones de culture maraîchère
écologique de la ville de Hanoi. Et, consécration suprême, ses produits se
retrouvent jusque dans les rayons des grands supermarchés de la capitale comme
Big C ou Unimart. Il est loin, le temps où l’on devait se débarrasser du surplus
de légumes, au grand dam des villageois dont c’était la hantise. Vũ Thị Hiến: On
ne voit plus de tas de légumes jetés à la poubelle. Il faut savoir tout de même
que pour une centaine de plants, il faut compter déjà 200 mille dongs. Vous
imaginez le gâchis ! Bien sûr, il y parfois de mauvaises années, notamment
lorsqu’il pleut trop. Mais en temps ordinaire, nos légumes nous garantissent de
solides revenus. Et il faut bien reconnaître qu’en dehors des cultures
maraîchères, je ne vois vraiment pas ce que nous pourrions faire !
A Thuy Linh, on cultive surtout différentes sortes de
laitues. Mais en ce moment, il s’agit surtout de préparer les récoltes du
nouvel an lunaire. En dépit de l’urbanisation galopante, le temps semble s’être
arrêté à Thúy Lĩnh. Les villageois y cultivent toujours leurs légumes aussi
laborieusement. Mais ils savent bien que désormais, l’heure est à la
modernisation, y compris pour les cultures maraîchères, ce qui suppose
l’introduction de nouvelles technologies ou de nouvelles variétés à haut
rendement. Cela dit, dans l’immédiat, la grande affaire des maraîchers de Thuy
Linh est de mettre au point un système qui leur permettra d’écouler leur
production de manière rationnelle. A voir un tel dynamisme, on en arriverait
presque à penser qu’il fait bon se lever à minuit./