Il y a quelques décennies, le films français Indochine a fait salle comble dans de nombreuses capitales grâce à la présence de 2 vedettes : Catherine Deneuve et la baie de Ha Long. Cette dernière a été même proclamée par certains enthousiastes "Huitième merveille du monde".
Ce que presque tous les touristes, même Vietnamiens ignorent, c'est que l'hinterland au nord de la baie de Ha Long est non moins attrayant avec ses paysages pittoresques et ses anciens villages aux coutumes archaïques.
À une vingtaine de kilomètres au nord-est de la ville portuaire de Hai Phong s'étale le district de Yên Hung au visage caractéristique de la moyenne région du Nord : collines brunes en pente douce émergeant d'un damier de rizières émeraude, lacis de lacs et de cours d'eau miroitants, mangroves à perte de vue, l'air marin sent le pin forestier. Yên Hung qui fait partie de la nouvelle province de Quang Ninh appartenait à l'ancienne province de Quang Yên au temps de la colonisation française.
Cette région est fertile en vestiges historiques et temples populaires. Prestigieux lieu de mémoire : c'est sur le fleuve de Bach Dang qu'en 1288, le légendaire généralissime Trân Hung Dao a anéanti une flotte mongole de 400 jonques avec 40 000 soldats de l'armée d'invasion. Son souvenir se perpétue dans 2 temples : l'un offre une statue du guerrier se peignant les cheveux, l'autre honore une vieille marchande de thé qui lui aurait donné des renseignements sur le mouvement des marées utiles à son plan de bataille fluviale : À la bourgade de Yên Hung, près de l'ancienne résidence du chef de province français, se dressent encore 3 magnifiques arbres lim (bois de fer) qui dit- on datent de 700 ans, du temps de Trân Hung Dao. Là se trouvent aussi les traces d'une citadelle construite en 1802. C'est dans la caserne de Yên Hung qu'après 1954, se sont regroupées les dernières unités de l'armée coloniale française attendant le rapatriement. Les amoureux de l'architecture populaire pourraient y admirer la maison communale de Phong Côc, véritable joyau avec son toit de vieilles tuiles de 600 m², sa colonnade de bois impressionnante et ses merveilleuses sculptures sur bois.
La Fête des Dix-sept Patriarches défricheurs (Tiên Công) retient l'attention des folkloristes. Unique au Vietnam, elle a lieu chaque printemps, saison des festivités villageoises. Les réjouissances populaires reflètent des événements et croyances locales, tout en portant le sceau du bouddhisme, de confucianisme et du taoïsme importés de Chine.
La maison communale, centre social, culturel et administratif du village est le site sacré des fêtes.
La Fête des Tiên Công a lieu sur l'île de Hai Nam (district Yên Hung), qui compte 34 km de digues côtières, témoignage d'un long et patient travail de conquête sur la mer. Vers le milieu du 17e siècle, les 17 ancêtres parmi eux des lettrés, venus de la capitale ont mobilisé les pêcheurs-bateliers errants et leurs familles pour transformer les marécages salins en rizières fertiles. On raconte qu'au cours d'un voyage d'exploration, ils ont entendu une nuit des coassements de grenouille, signe qu'il devait y avoir de l'eau douce. Le défrichage a pu démarrer avec la découverte des sources. Pour commémorer ce fait miraculeux, on célèbre chaque année une fête commune à tous les villages fondés le 7e jour du premier mois de l'année lunaire, jour de cette découverte et aussi jour faste du calendrier traditionnel. C'est une occasion solennelle pour rendre hommage aux Cu Thuong (Personnes supérieures de grand âge), hommes et femmes à partir de 80 ans. Il est à remarquer que même les femmes octogénaires sont admises, parce que dans l'ancienne société confucianisée, les femmes considérées comme impures ne pouvaient fréquenter la maison communale adorant les génies tutélaires du village. Cette exception est légitimée par une explication selon laquelle, après l'arrêt des règles, la femme qui avait 9 principes inférieurs, yin, de l'âme (via, phach) n'en a plus de 7 comme l'homme. Chaque famille qui a un Cu Thuong prépare fiévreusement la cérémonie avant le Têt, Nouvel An lunaire : installation d'un autel, décoration de la maison, offrandes rituelles. La nuit du 6e jour, l'ancêtre veille toute la nuit, assis dans un fauteuil pour recevoir les félicitations et les cadeaux des parents et amis. Parfois il somnole, mais doit tenir jusqu'au matin-quand une procession vient le transporter en palanquin ou en hamac à la maison communale du canton. De nombreux cortèges ondulent à travers les rizières, offrant un spectacle haut en couleur. En tête de chaque procession 2 groupes de 4 jeunes hommes maquillés, marchent à pas cadencé, dansant et brandissant des bâtons magiques pour chasser les esprits maléfiques. Viennent ensuite des musiciens traditionnels, 4 jeunes filles représentant les 4 saisons et portant des produits agricoles, un grand panneau portant le dessin d'un superbe vieillard entouré de marmots joufflus, une jeune fille belle et bien habillée avec sur sa tête un plateau de riz gluant dominé par une tête de cochon bouilli pour le sacrifice, une longue file de membres de la grande famille qui invitent les passants sur la route à fumer ou à goûter une friandise.
Quand les Cu Thuong des 7 villages sont au complet dans la maison communale du canton, la cérémonie sacrificielle se déroule. Quatre notables posent sur l'autel 4 mottes de terre avant de procéder au rite de l'édification d'une digue et à un corps à corps symbolique. La fête est couronnée par des réjouissances populaires : échecs aux pions humains, balançoire, combats de coqs, lutte traditionnelle... Les travaux champêtres bénis par les Dix-sept Patriarches peuvent commencer.