Quât Dông : quand le verbe broder se conjugue au passé, au présent et au futur
Mettre à jour: 20 Mars 2017
« Eh toi, la jeune fille à la ceinture verte ! Viens donc avec moi à Quât Dông ! On y brode des poulets, des canards et des fleurs"...  Ces quelques mots suffisaient jadis à faire chavirer les cœurs, paraît-il… Mais qu’en est-il aujourd’hui ?

Quât Dông, le berceau de la broderie traditionnelle, est un village situé à 25 kilomètres, environ, au sud de la capitale. Impossible de s’y tromper : c’est une enfilade de boutiques qui, toutes, proposent des broderies.

Mais Quât Dông, c’est aussi un village ancien du delta du fleuve Rouge. Témoin ce banian séculaire qui trône à l’entrée et qui abrite un sanctuaire dédié au culte de Lê Công Hành, Lê Công Hành qui, en plus de passer pour le fondateur de la broderie vietnamienne (broderie en tant qu’artisanat, entendons-nous bien), est le génie tutélaire des lieux.

Distinction ô combien méritée car si l’on s’en réfère aux inscriptions gravées sur les stèles, il apparaît que Lê Công Hành, de son vrai nom Bùi Công Hành, était un natif de Quât Dông, ayant vécu à la fin de la dynastie des Trân et au début de celle des Lê, c'est-à-dire au XIVe siècle. Mais qu’a-t-il donc fait de si méritoire, allez-vous me dire… Eh bien sachez qu’il était ambassadeur, en Chine, et que c’est au cours de l’une de ses missions qu’il a appris l’art de la broderie, art qu’il a ensuite enseigné à ses compatriotes une fois de retour au pays natal.

« Le temple dédié au fondateur de la broderie ? Il existe depuis plus de 200 ans ! Vous pouvez d’ailleurs y trouver des stèles ou des brûle-encens qui sont très vieux. Quant à l’anniversaire du décès de Lê Công Hanh, c’est le 12èmejour du 6ème mois lunaire. Ce jour-là, il y a plein de gens qui viennent ici, qui représentent tout ce que le Vietnam compte de brodeurs… » , a fait savoir  Phùng Văn Hưng, un vieillard de Quât Dông.

« Tout ce que le Vietnam compte de brodeurs… ». Voilà qui pourrait suffire à décrire les habitants de Quât Dông, tant ils sont nombreux à perpétuer l’artisanat local, celui qui a fait et qui continue de faire la gloire de leur village.
« Moi, j’ai appris à broder à l’âge de 8 ans. Mais aujourd’hui encore, c’est à peu près à cet âge-là que les enfants commencent. Dans le passé, on pratiquait la broderie brute, c’est-à-dire la broderie en relief ou avec des fils d’or. Mais aujourd’hui, les jeunes font des broderies plates, qui sont beaucoup plus sophistiquées que les nôtres », a confié Bùi Thị Hánh, une brodeuse chevronnée.

Au début des années 1990, il existait de nombreux ateliers de broderie à Quât Dông, chacun réunissant entre 200 et 500 brodeurs. Mais l’économie de marché est arrivée, et ces ateliers ont commencé à fermer les uns après les autres… Il s’en est fallu de peu pour que le verbe broder ne se conjugue plus qu’au passé, à Quât Dông… Mais c’était sans compter l’obstination d’une poignée d’artisans, obstination aujourd’hui récompensée car, même si ce n’est plus l’âge d’or, chaque foyer du village compte encore deux ou trois brodeurs au moins : ouf, « je brode » ou « je broderai » ne sont pas des incongruités !...

La maison qu’occupe Nguyên Thi Hông ne fait que 30m2, mais les murs sont recouverts de toutes sortes de broderies. « Je confectionnais souvent des draps, des couvertures et des oreillers brodés qui étaient destinés à être exportés vers l’Europe de l’Est. Mais ça, c’était avant. Ensuite, j’ai fait des tableaux en broderie et maintenant, je suis passée à la confection de tuniques traditionnelles brodées et de vêtements. Ça exige un sacré savoir-faire, d’ailleurs, notamment pour la broderie à deux faces. Mais ici, au village, du savoir-faire, on en a à revendre, croyez-moi ! »      

Alors que brode-t-on, à Quât Dông ? Des banians, des sampans, des sites touristiques du pays comme la pagode au pilier unique, le temple Ngoc Son, la maison communale de Hông Thai ou encore l’ancienne cité impériale de Huê... Quel que soit le motif choisi, il faut des mois de travail ! C’est toute une affaire qui avance point par point, fil après fil… C’est à croire que l’expression « au fil du temps » a été inventée tout exprès… 

Plusieurs brodeurs de Quât Dông ont acquis une renommée nationale. C’est le cas de Bùi Lê Kính qui, en son temps, a confectionné des costumes pour le roi Bao Dai et la reine Nam Phuong. Mais, c’est aussi le cas d’un certain Thái Văn Bôn, auquel ses portraits brodés de chefs d’Etat ont valu le titre de maître artisan du peuple.  

De nos jours, les machines ont fait une large intrusion dans l’univers de la broderie, la quantité prenant alors le pas sur la qualité. Pas à Quât Dông où la broderie est bien plus qu’un artisanat : une véritable raison d’être…

AVI