L’inscription des pratiques liées au culte des Déesses-Mères a ouvert de nouvelles opportunités culturelles et touristiques pour le Vietnam au niveau international. Se pose néanmoins pour les autorités locales la question de la préservation de ce patrimoine immatériel de l’Humanité. Enquête.
Fin 2016 a été marquée par l’intronisation du culte des Déesses-Mère des Trois Mondes au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Le Vietnam en dénombre désormais onze. Cette pratique est directement issue de la société matriarcale du Vietnam féodal, où les gens vouaient un culte à la Déesse du Riz et de la Déesse-Mère. Ce n’est que plus tard qu’est venue s’immiscer Liêu Hanh, un personnage historique canonisé, pour devenir au XVe-XVIe siècles cette croyance qui place l’être humain au centre des préoccupations.
Cinq siècles d’histoire
Le culte des Déesses-Mères porte des valeurs spirituelles pour les habitants du pays. Au départ pratiqué pour s’attirer santé, prospérité, paix et réussite dans ce que l’on entreprend, ce patrimoine ancestral oriente l’Homme à montrer sa gratitude envers les Esprits de la Nature (Monde des Montagnes et Forêts - Monde Céleste - Monde de l’Eau), le tout en valorisant le rôle des femmes.
Les femmes justement et le respect de la nature sont le principal cheval de bataille de l’UNESCO et de la communauté internationale, qui s’évertuent à mener des campagnes de sensibilisation contre la discrimination à l’encontre des femmes ou les changements climatiques. Des valeurs au cœur de cette croyance religieuse vietnamienne et qui concordent parfaitement avec les objectifs de l’UNESCO.
L’ambassadeur Pham Sanh Châu ne s’y est pas trompé, constatant que «cette particularité mais aussi le dynamisme du Vietnam dans l’association des valeurs culturelles aux réalités sociales ont pesé dans la balance en faveur de l’inscription des pratiques liées au culte des Déesses-Mères des Trois Mondes dans la liste des patrimoines culturels immatériels mondiaux».
Corrélé à cette croyance, le rituel hâu dông est une pratique qui relie les divinités à l’Humanité. Ayant des similitudes avec le chamanisme observé dans d’autres religions, le hâu dông se différencie par ses scènes religieuses spécifiques avec le châu van (chant rituel de médiumnité), accompagné d’une musique folklorique entraînante et sublimé par les costumes étincelants des médiums. Marie, une jeune volontaire suisse, a pu assister à une séance. Une expérience qu’elle n’est pas prête d’oublier.
«Il y a une ambiance incroyable, une atmosphère solennelle et, en même temps, très joyeuse quand on entend derrière des gens qui crient, qui tapent des mains...». Les éléments traditionnels entrelacés les uns aux autres produisent un tableau chamarré, ce qui attise la curiosité des spectateurs, notamment étrangers.
Comme il a déjà été mentionné, le rituel hâu dông est indispensable dans la pratique du culte des Déesses-Mères. Pourtant, pendant plus de trois décennies (1954-1990), il a été limité, même interdit pour d’obscures raisons liées aux superstitions. Le châu van a ainsi été mis en péril, par manque de successeurs.
Une fois réhabilité et débarrassé de ses parties jugées abstraites, pour ne pas dire inexplicables, le hâu dông a retrouvé au fil des ans de la vigueur. Plusieurs espaces culturels d’interprétation ont été ouverts en vue de présenter au grand public et de considérer le châu van comme un art traditionnel à préserver. Un spectacle de châu van est même organisé tous les soirs de week-end depuis début septembre 2016 à la maison commune du roi Lê, dans l’espace piétonnier instauré depuis cette date dans le Vieux quartier de Hanoï. Cette activité culturelle est assurée par des artistes bénévoles. Mai Tuyêt Hoa, chef de la troupe, espère maintenant que le rituel hâu dông et le châu van qui l’accompagne reprendront leur forme la plus authentique afin de se rapprocher davantage encore du public.
Une pratique à encadrer
Et il semble que le mouvement soit en marche, au regard de la fréquentation de plus en plus importante des jeunes aux cours de châu van. Attention toutefois, car si cet engouement est un signe encourageant pour la pérennité de ce patrimoine, les risques de le voir être dénaturé sont grands, à l’instar de ce qui a pu être observé dans d’autres courants artistiques traditionnels. L’artiste Van Ty, dont la réputation dans le métier n’est plus à faire, met en garde : «La transformation des termes originels en un registre de langage souvent trop familier tend à se répandre, ce qui ne peut que nuire à la valeur véritable du +châu van+».
De plus, les autorités doivent «veiller au grain» pour éviter les abus en tous genres et ainsi toute défiance préjudiciable. Quelques textes juridiques réglementent déjà des activités de hâu dông dans les temples ou pagodes, comme l’arrêté gouvernemental 158 entré en vigueur le 1er janvier 2014, en vue d’éviter toute ambiguïté dans sa pratique ainsi que les dérives à des fins lucratives.
En conclusion, les patrimoines culturels de cette catégorie sont vulnérables du fait de leur nature immatérielle. Or, les pratiques liées à la croyance en les Déesses-Mères appartiennent à quelque chose d’abstrait et se compose de rituels spirituels difficiles à expliquer comme le hâu dông. La question de sa préservation est donc un problème épineux qui nécessite une gestion à la fois stricte et flexible, afin que ce patrimoine soit digne de son statut.