Au Vietnam, l’image des femmes de la campagne ou des vendeuses ambulantes en ville portant une palanche et les deux suspensions pour attacher deux paniers est familière. Cet objet, fait en bambou, en dit long.
Débarquée à Hô Chi Minh-Ville, l’Américaine Edith Slillue note quand elle voit passer une marchande ambulante qu’«elle porte sur l’épaule ce très romantique objet oriental, la palanche en bambou avec ses deux paniers qui se balancent gracieusement» (Earth and Water, University of Massachusetts Press, 1997). Au temps des Français, les auteurs coloniaux en mal d’exotisme décrivaient volontiers la file de silhouettes féminines qui trottaient sur les digues au rythme de la palanche.
En bambou plus rarement en bois
Dans l’inconscient collectif vietnamien, le fléau en bambou évoque les travaux et les jours du paysan, ses joies et surtout ses peines et en particulier la destinée de la femme, faite de résignation, de courage et de sacrifice. Dans notre pays essentiellement agricole, les campagnes sont sillonnées de talus de rizières et de sentiers.
Le moyen de transport de marchandises le plus pratique demeure la palanche (đòn gánh en vietnamien) en bambou, l’habitat du riz coïncide avec celui du bambou, bien que depuis quelques décennies, se déroule une «campagne pour libérer l’épaule» (1). Depuis les activités quotidiennes (travaux champêtres, commerce sur les marchés...) jusqu’aux grands travaux d’utilité publique (construction de digues, ravitaillement de l’armée comme lors des batailles de Diên Biên Phu, de Saigon...), tout passe encore par l’épaule des paysans et des paysannes.
N’oublions pas que dans l’ancien temps, ces derniers étaient corvéables à merci et la palanche équivalait pour eux à la rame du galérien. Tandis que la palanche est en bois dans la haute région, elle est en bambou dans la plaine. On la taille dans le pied de la tige de la plante, le tronçon ayant de sept à neuf entre-nœuds. Les marchandes évitent les nombres pairs, croyant qu’ils leur porteront la guigne. Certaines recherchent la palanche à onze entre-nœuds. Un fléau tordu est synonyme de malheur.
L’outil de base des vendeuses ambulantes
Le fléau des jeunes villageoises de Vòng qui vont vendre en ville leur fameux côm (jeune riz pilé) a l’extrémité courbée en forme de point d’interrogation. Les marchandes de galettes de riz ou de vermicelles aux crabes de rizière emploient un fléau plus long, aux bouts légèrement courbés, qui évoquent les ailes déployées d’un albatros. Les marchandes de riz choisissent un bambou résistant, afin d’y accrocher deux paniers extrêmement lourds.
Parcourir une dizaine ou une vingtaine de kilomètres chaque jour; en portant de 20 à 30 kilos relève plutôt de l’exploit sportif. Pourtant, c’est le sort dévolu aux femmes de l’ancien Vietnam qui, outre les travaux agricoles, devaient encore faire du petit commerce pour boucler le budget familial. Dans notre économie autarcique, l’homme en général s’abstenait de faire du commerce. Et si le mari était un lettré qui passait de longues années à briguer les honneurs des concours de mandarins, il se faisait nourrir, lui et ses enfants, grâce à la palanche de sa femme.
La palanche et les deux suspensions (đôi quang en vietnamien) pour attacher deux paniers sont inséparables. C’est l’image de la fidélité conjugale même. C’est aussi le symbole du dévouement de la femme traditionnelle qui devait, à elle seule, porter le fardeau, non seulement de sa famille, mais encore celui de la famille de son mari.
Espérons qu’à l’heure actuelle, la libération de l’épaule se fera en même temps que l’émancipation de la femme.
Note : (1). Vers les années 60, avec la coopérativisation agricole, se développent les charrettes perfectionnées, les bicyclettes converties pour le transport. En dernier lieu, des tracteurs rudimentaires.