Pour comprendre l’âme du Vietnam traditionnel, il faut aller à la campagne. C’est le village, cellule sociale et unité administrative, économique et spirituelle, qui est le dépositaire de ses plus vieilles valeurs culturelles.
La fête du temple Chem à Ha Noi
Chaque village a une maison communale (dình) dédiée à son Génie tutélaire, des temples (dên ou miêu) pour le culte des esprits ou des génies (héros déifiés), une ou deux pagodes (chùa) pour adorer Bouddha, parfois un temple (van miêu) ou un tertre-autel (van chi) pour le culte de Confucius. Malgré un syncrétisme religieux très prononcé, on peut grosso modo classer ces édifices religieux en deux groupes selon l’origine endogène ou exogène des divinités qu’ils honorent.
Trois éléments essentiels du village
Le premier groupe (maison communale et dên) concerne le culte des esprits (génies et fantômes de toutes sortes), d’origine autochtone, véritable religion vietnamienne. Les croyances populaires animistes Viêt (bassin du fleuve Rouge), dont certaines remontent à des temps immémoriaux, adorent les forces de la nature (tonnerre, éclair, pluie...), les rochers, les plantes, les animaux, les ancêtres, les Saintes Mères (Mâu), les mânes des héros, etc.
Le deuxième groupe d’édifices religieux comprend ceux réservés aux religions importées de Chine et d’Inde. Le confucianisme et le bouddhisme étaient venus se greffer sur la souche spirituelle autochtone (culte des esprits) fortement enracinée et très vivace même aujourd’hui.
Dans le village traditionnel, les trois éléments – souche autochtone animiste, confucia-nisme et bouddhisme – s’harmonisent et s’amalgament. En particulier, le confucianisme et le bouddhisme se complètent en répondant à deux besoins de l’homme : le confucianisme, c’est le social et la raison, le bouddhisme, l’individu et le sentiment. En somme, la tête et le cœur.
Quid le confucianisme ?
Le confucianisme, c’est la tête, c’est l’influence chinoise à proprement parler. Il n’est pas une religion, c’est plutôt une philosophie de l’éthique sociale. Pratiquement, on pourrait dire que c’est une somme de préceptes de conduite qui gouvernent, par les rites et la vertu d’humanité (nhân), toutes les relations sociales en vue de réaliser l’harmonie universelle (hòa).
Dans une société fortement hiérarchisée et patriarcale (roi, mandarins, lettrés, paysans, artisans, ouvriers, commerçants, hommes et femmes), chacun dans la famille : mari et femme, parents et enfants... doit accepter son lot et accomplir son devoir. Au niveau du village et sur le plan cultuel, comment se manifeste le confucianisme ? Les lieux de culte confucéen (van tu) sont là pour rappeler la précellence de la doctrine du Maître et de ses lettrés. Le dình, qui fait office de temple, de mairie, de tribunal populaire, représente l’ordre confucéen rationnel, - cérémonies rituelles au génie tutélaire accrédité par des brevets royaux, réunions de notables pour décider des affaires du village, festins populaires avec préséance très stricte, répartition des impôts fonciers et corvées, application des lois coutumières parfois très sévères, par exemple contre les filles mères... Souvent, la corruption et l’injustice des notables arrogants et cupides s’y étalent.
Dans le village, à la rigueur de la norme confucéenne rationnelle, le bouddhisme apporte le baume adoucissant du cœur, du sentiment. La pagode est un havre de paix qui calme la douleur, l’inquiétude, console bien des peines individuelles et des injustices sociales. Mais les concepts philosophiques de dharma, d’être et de non-être,... restent l’apanage de d’élite lettrée, en particulier la secte Thiên (Zen). Pour le commun du peuple, les notions de karma, de métempsycose se réduisent à des croyances très simples : il faut faire le bien pour renaître sous forme humaine dans sa vie ultérieure, et parvenir au nirvana conçu comme un paradis doté de plaisirs terrestres, les méchants sont emmenés à l’enfer par des diables qui les soumettent à des tortures affreuses.
On évoque de préférence le bouddha Amitabha (A-di-dà) prêt à secourir tous les êtres souffrants et la bodhisattva Avalokitésvara (Quan Âm), auxiliaire du premier, qui peut exaucer les vœux les plus terrestres des personnes les plus déshéritées. Le mot But, terme vulgaire pour désigner Bouddha, est synonyme de pitié, compassion. Bouddhisme et confucianisme, cœur et raison, ont influencé depuis des millénaires la psyché vietnamienne en contribuant à lui apporter l’équilibre nécessaire.