Le hat cua dinh renaît de ses cendres
Mettre à jour: 19 Janvier 2018
Le hat cua dinh, ou chant de culte, constitue le fondement même du ca trù, art musical classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Peu de gens connaissent ce chant qui a presque disparu au cours de ces 60 dernières années. Mais c’était sans compter sur l’opiniâtreté de Bui Trong Hien, chercheur à l’Institut culturel et artistique du Viet Nam, et de ses collaborateurs, qui ont réussi à restaurer la pratique de ce chant rituel.

C’est en septembre 2014 que Bui Trong Hien a démarré ses recherches sur le hat cua dinh, littéralement « le chant qu’on interprète devant la maison communale », en français. La maison communale est l’un des deux espaces de représentation du ca trù, l’autre étant le cabaret, lieu de rencontre élégante des lettrés mélomanes. Pour commencer, Bui Trong Hien est allé chercher Nguyen Phu De, l’unique professionnel du ca trù encore en vie à s’être produit dans ces deux espaces. Ce joueur de dan day, luth à trois cordes, est une référence en termes de règles musicales du ca trù. Fin 2016, ses recherches individuelles ayant donné lieu à un projet plus conséquent, Bui Trong Hien s’est officiellement vu confier, par l’Institut culturel et artistique du Viet Nam, la réalisation d’un « projet de préservation du ca trù à Ha Noi suivant une nouvelle approche ». Début 2017, il a créé un groupe de ca trù à Phu Thi, une commune de la banlieue est de Ha Noi, qu’il allait former aux règles musicales qui lui avaient été communiquées par le maître Nguyen Phu De.

Ce processus d’apprentissage entre le chercheur Bui Trong Hien et le maître Nguyen Phu De aura été un vrai travail de fourmi. Chaque fois qu’il réussissait à collecter ou reconstituer une œuvre de hat cua dinh, il allait la montrer au maître pour en évaluer le degré d’authenticité. Mais Bui Trong Hien a surtout pris le temps de retranscrire le système musical de ce chant rituel.

« Autrefois, les musiciens apprenaient par pure intuition, mais moi, j’ai pu réaliser une notation musicale des mesures et des temps tels qu’ils m’ont été appris par le maître, nous dit-il. A mon tour, j’ai reproduit toutes ces valeurs musicales par des schémas et des compositions pour faciliter la compréhension de mes élèves. Le ca trù est un genre musical singulier caractérisé par une très forte continuité des mesures et des temps. Pour bien l’interpréter, il n’y a pas d’autre moyen que d’intérioriser son schéma. »

Les recherches minutieuses de Bui Trong Hien lui ont permis de synthétiser la théorie du ca trù, et plus spécifiquement du hat cua dinh, son fondement musical, qui était jusque là transmise uniquement par voie orale. Désormais, les pratiquants de cet art peuvent savoir à quelles normes se référer. Pour le professeur associé Luong Hong Quang, directeur adjoint de l’Institut culturel et artistique du Viet Nam, Bui Trong Hien et ses collaborateurs auront trouvé une nouvelle approche efficace dans l’étude des musiques traditionnelles.

« Le projet de préservation et de valorisation du ca trù à Ha Noi consiste à apprendre à des chanteurs et des musiciens les mesures et les temps de cet art traditionnel, en leur faisant comprendre sa structure musicale, nous explique-t-il. Cet enseignement est bien sûr bien plus efficace que la transmission orale basée uniquement sur des expériences personnelles qui prévalait jusqu’à présent. Nous nous focalisons sur la restauration du hat cua dinh qui a disparu depuis longtemps. Maintenant, les membres du groupe de ca trù de Phu Thi peuvent interpréter ce chant comme l’ont fait nos prédécesseurs. »

En plus de la restauration et de la pratique, Bui Trong Hien et ses collaborateurs ont publié un album de hat cua dinh présentant des œuvres représentatives du répertoire. Certaines n’ont pas été entendues depuis 60 ans. Bui Trong Hien a réussi à définir le style de jeu de plusieurs grands noms du ca trù du XXè siècle, ce qui devrait faciliter l’apprentissage des générations futures. Pour le professeur associé Vu Nhat Thang, ancien chef du département de Théorie de musiques traditionnelles à l’Académie nationale de musique du Viet Nam, il s’agit d’un travail colossal.
« Bui Trong Hien aura réussi un ouvrage de recherches sophistiqué et de très grande qualité, estime-t-il. Il l’a fait avec précaution et méthodologie. Il faut que l’Institut culturel et artistique et l’Association des arts folkloriques du Viet Nam aident à publier largement les résultats de ses recherches. »

Le 14 novembre 2017, le «projet de préservation du ca trù à Ha Noi suivant une nouvelle approche» a officiellement atteint son terme. Toutes les connaissances du ca trù en un siècle ont été synthétisées en une théorie fondamentale. Le patrimoine ancestral pourra donc continuer d’exister et d’être transmis.  

VOV