La vitalité du hat xoan sur la terre des rois Hùng
Mettre à jour: 29 Janvier 2018
Six ans après sa reconnaisance en tant que patrimoine à sauvegarder d’urgence, le hat xoan de Phu Tho a réussi à être converti en patrimoine culturel immatériel de l’Humanité. Une consécration pour cet art qui revient de loin.

Une atmosphère enthousiaste régnait fin 2017 dans la province de Phu Tho (Nord), ce royaume des Viêt au temps des légendaires rois Hùng et aussi berceau du hat xoan (chant printanier). C’est en effet à cette période que ce chant folklorique propre à Phu Tho a été transféré de la liste des patrimoines à sauvegarder d’urgence à celle des patrimoines culturels immatériels de l’Humanité.

La décision de l’UNESCO prise, les journalistes ont accouru massivement pour sonder l’émotion des autochtones. Au sortir du bus reliant Hanoï au temple de Lai Lèn (village de Phu Duc, province de Phu Tho), bondé comme rarement, s’est soudain élevée la voix argentine de la guide pour entonner un air folklorique : "Je vous demande si vous connaissez le nom d’une fleur qui s’épanouit dans la forêt profonde ? Je vous demande si vous connaissez le nom d’une fleur qui s’épanouit dans le champ entouré du cours d’eau ?…".

La devinette chantée a reçu nombre de réponses. Avec un sourire aux lèvres, la guide a expliqué : "C’est un air de hat xoan bien connu par la population de Phu Tho". Selon elle, la vitalité du hat xoan est palpable partout sur sa terre natale, notamment dans les villages d’An Thai, Phu Duc, Thet et Kim Dai (des communes voisines de Kim Duc et Phuong Lâu), où subsistent quatre troupes.

Le chant magique du printemps

Une soirée de hat xoan a été donnée par la troupe d’An Thai dans la cour de la maison commune de Hung Lô. Une représentation des plus charmantes. Les artistes étaient en ao dài classique de couleur brun-rouge, les femmes avec un fanchon et les hommes un turban autour de la tête. Ils chantaient en dansant gracieusement aux sons de tambours et claquettes. Des chants mélodieux, des gestes légers et simples. Les numéros laissaient transparaître tantôt la vénération pour les divinités, tantôt le lyrisme paysan.

La scène "Mò cá" (littéralement "Chercher à tâtons des poissons") a enthousiasmé les spectateurs. "Exercer une séduction agréable sur les spectateurs est le propre du hat xoan . Cet art crée des échanges entre artistes et spectateurs", a observé Le Nem, directrice de la Compagnie de tourisme Saigon Luxury.
L’"Artiste émérite" Nguyên Thi Lich, 70 ans, chef de la troupe d’An Thai, avait des trémolos dans sa voix en se rappelant les années difficiles, où elle et les passionnés de hat xoan s’évertuaient à conserver des airs folkloriques qui partaient à vau-l’eau. Issue d’une famille de chanteurs de hat xoan depuis cinq générations, Lich avait cet art dans les gènes. C’était la plus jeune et même la meilleure des chanteuses de Phu Tho, et la star des cérémonies rituelles. "Je suis fière d’avoir accompli cette mission sacrée, car j’ai répondu à l’aspiration profonde de mes ancêtres", a-t-elle confié. La troupe d’An Thai réunit à présent 117 membres, de cinq générations différentes. La benjamine, sa petite-fille, a 6 ans ; et la plus âgée, 94 ans.

Un chant à la fois rituel et populaire

Issu de Phu Tho ou pays de Van Lang fondé par les rois Hùng, le hat xoan a persisté presque 2.000 ans, malgré les soubresauts de l’histoire. Il s’agit d’un art de représentation folklorique et rituel, caractérisé par une coordination harmonieuse entre musique, chant, danse, tambour et claquette. Traditionnellement, il sert à vénérer les rois Hùng, fondateurs du pays, à l’arrivée du printemps. D’où le nom initial de hat xuân (chant printanier). À l’occasion du Têt et des fêtes villageoises, les troupes se produisaient dans des lieux sacrés comme temples ou maisons communes, dans un climat plein de dévotion. Un chant ancré dans les mœurs populaires et qui est étroitement lié au souvenir des rois fondateurs du pays.

Avec le temps, cet art chanté a beaucoup évalué. On peut de nos jours en définir trois types : les airs exprimant l’adoration et la gratitude envers les rois Hùng, les divinités et les ancêtres ; ceux exprimant l’aspiration à de bonnes récoltes et à la santé pour tous ; enfin, les airs de réjouissances communautaires et ceux d’amour échangés entre hommes et femmes.

Personne ne sait quand sont nées les troupes d’An Thai, Phu Duc, Thet et Kim Dai. À maintes reprises, elles ont disparu avant de renaître de leurs cendres, pour devenir plus fortes que jamais. "Cela témoigne de la vitalité durable de ce chant ancestral qui joue depuis toujours un rôle très important dans la vie culturelle des gens de Phu Tho", selon un  chercheur. Né dans une région de moyenne montagne, le hat xoan a irradié jusqu’aux localités riveraines de la rivière Lô et du fleuve Rouge. Il est ainsi devenu populaire auprès des Vietnamiens de la plaine.

Préservation et développement

Pour Mme Lich, la préservation et le développement de cet art constituent une des priorités  des autorités de Phu Tho. "Le hat xoan est un art de représentation. Il est évident qu’il doit être connu plus largement, attirer plus de spectateurs. Pour cette raison, si les troupes ne se produisaient autrefois qu’à l’occasion de fêtes commémoratives ou réjouissances communautaires, elles s’emploient actuellement à multiplier leurs représentations, notamment à destination des touristes. Dans une certaine mesure, le hat xoan favorise les activités touristiques et à l’inverse, celles-ci lui donnent une nouvelle visibilité", a-t-elle affirmé.

Ces six dernières années, dans l’objectif de sortir cet art de l’état d’un patrimoine à sauvegarder d’urgence, Phu Tho n’a pas épargné ses efforts. D’innombrables mesures efficaces ont été prises, permettant au mouvement du hat xoan de faire tache d’huile. La province compte actuellement une centaine de clubs d’amateurs totalisant des milliers de chanteurs/euses, contre 13 clubs et une centaine de membres (âgés pour la plupart) en 2011. Ses quatre troupes semi-professionnelles se produisent régulièrement, à Phu Tho et ailleurs dans le pays.

Fait notable, le contingent de chanteurs/ses a tendance à rajeunir. De plus, l’enseignement du chant figure dans le programme d’écoles primaires, de collèges et lycées. Une centaine de maisons communes, temples... de l’espace culturel du hat xoan a  été restaurée. Et Phu Tho n’est pas seule sur son chemin de préservation de ce patrimoine. L’Institut national de musicologie a en effet collecté jusqu’ici 31 airs parmi les plus anciens.

Le chant printanier est en train de revivre, avec vigueur, et devrait bientôt devenir un élément majeur du développement socio-économique de Phu Tho.

* Légende autour du chant printanier

Il était une fois sous le règne des rois Hùng, il y a 2.000 ans, une reine enceinte souffrant de contractions liées à la grossesse. Sur le conseil d’une sage-femme, le roi invita Quê Hoa, une jolie fille réputée pour son talent de chanteuse et danseuse, à venir se produire au service de la reine. Par miracle, la voix veloutée accompagnée de gestes souples de Quê Hoa adoucit la douleur de la reine, qui mit au monde trois princes. Conscient du miracle, le roi ordonna aux odalisques de la cour d’apprendre ces airs agrémentés de beaux gestes chorégraphiques, qu’il appella hat xuân (chant printanier). Le hat xuân est depuis destiné à accompagner les cérémonies rituelles, notamment lors des fêtes printanières. Plus tard, à cause d’une princesse dénommée Xuân Nuong, on a changé le nom de hat xuân en hat xoan pour éviter de reprendre le nom de la princesse, considéré comme “tabou”.

AVI