A quoi sert une berceuse? A endormir les enfants? Oui, mais pas seulement, en tout cas pour les Vietnamiens. A travers les berceuses, l’adulte transmet à l’enfant des valeurs culturelles et spirituelles accumulées au fil des générations. Une fois acquises, celles-ci contribueront à façonner personnalité de l’enfant. Au Vietnam, les responsables culturels sont en train de développer un projet visant à préserver les berceuses dans la vie moderne.
De tous les chants populaires qui se transmettent de généation en génération, la berceuse est la plus ancienne. A travers leurs berceuses, la mère ou la grand-mère exprime à l’enfant tout leur amour et toute leur tendresse. Une musique simple mais riche en sentiments, dont les paroles sont souvent issues de comptines ou d’autres airs populaires qui évoquent des scènes de la vie rurale: la rivière, la lune, le champ, l’herbe, le bambou, la cigogne… Selon l’artiste Pham Hong Phuong, chargé de cours à l’Ecole normale centrale de musique et de peinture, un enfant qui grandit dans un tel environnement affectif a toutes les chances de devenir à son tour un adulte attentionné: “Pendant la guerre, j’ai fui la ville pour me réfugier dans la province de Phu Tho. C’était en été. L’électricité était souvent coupée. Les mères et les grand-mères rafraîchissaient leurs enfants avec un éventail, en chantant des berceuses. Cette musique douce était rythmée par les mouvements de la main ou du hamac. Tout en chantant, la mère ou la grand-mère caressait la tête ou le dos de l’enfant, pour l’aider à dormir plus facilement. Elles n’étaient pas forcément chanteuses, mais leur voix exprimait toujours quelque chose. Pour moi, c’est un souvenir impérissable.”
Belles mais fragiles, les berceuses se raréfient. Le professeur et musicologue Tran Van Khe, qui a consacré presque toute sa vie à la recherche sur la musique traditionnelle, raconte: “En 1976, je suis rentré au pays après 25 ans. J’ai eu alors l’occasion de traverser le pays du Nord au Sud. Et j’ai été stupéfait de constater que les mères ne chantaient plus de berceuses. A cause des conditions particulières de l’époque, à cause d’un nouveau mode de vie, à cause de la guerre, les mères ne berçaient plus leurs enfants. C’était pour moi une grande perte car la berceuse constitue la première éducation musicale que la mère donne à son enfant. Alors que le lait maternel nourrit l’enfant, la berceuse nourrit son subconscient en poésie et en musique populaire.”
Transmise oralement, chaque berceuse a de multiples versions. Avec la modernisation, le rythme de la vie s’accélère. Les mères d’aujourd’hui consacrent moins de temps pour leurs enfants, si bien que l’apprentissage des berceuses tend à disparaître. Face à cette situation, le ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme collabore actuellement avec les localités pour promouvoir cet art populaire en organisant par exemple des festivals. Cao Thi Hien est une artiste très motivée dans ce domaine: “Nous apprenons aux jeunes mamans des berceuses. Les paroles sont empreintes d’humanisme, et insufflent à l’enfant l’amour de la famille et du pays. Maintenant, peu de mères savent chanter des berceuses, nous espérons donc remédier à cette situation en appelant tout le monde à contribuer à la sauvegarde de cet art traditionnel.”
Les berceuses sont en effet un héritage précieux qu’il faut mettre en valeur. Car, comme le dit si bien l’artiste Pham Hong Phuong, nous ne vivons pas dans le passé, nous n’obligeons personne à s’enfermer à l’intérieur des haies de bambou du village, nous comprenons que la société doit évoluer, mais tout ce qui constitue le terreau de la culture nationale doit pouvoir permettre de nourrir la personnalité de l’homme. Et les berceuses sont une partie de ce terreau.