Route de légende
Mettre à jour: 01 Mai 2015
Fréquentation touristique oblige, il est des routes de plus en plus encombrées de touristes motocyclistes. La route mandarine entre Huê et Hôi An (Centre) en fait partie.

Le tunnel routier de Hai Vân. 

Il y a bien longtemps de cela, avant même que des tours aillent gratter le ciel de Hanoi, quand le béton de la digue n’avait pas encore revêtu son habit de mosaïque, j’avais parcouru cette route qui relie Huê à Hanoi. À l’époque, un voyageur étranger attirait la curiosité et dénotait aussi sûrement qu’un bouton sur le nez d’une élégante.

Depuis, l’ambiance a changé, mais le paysage et les sensations restent les mêmes pour ceux qui se risquent sur cette route à la réputation sulfureuse. Certes, le  ruban de bitume s’étire paresseusement entre les rizières et la mer. Les ombres bleutées du massif du Bach Ma se silhouettent à l’horizon.

Mais, attention à cette apparente sérénité ! Notre amie a la beauté du diable. Elle est dangereuse, et la moindre inattention pourrait coûter cher. Pour nous le rappeler, sur le bas-côté, un panneau indicateur «Đi chậm !» (Roulez lentement !), juste à côté d’un autel dédié aux âmes errantes des accidentés de la route.

Mais, on ne va pas se laisser démonter le moral. Surtout que le col des Nuages nous attend…

On se hausse le col

Avant d’y arriver, la Mer Orientale nous offre un festival de baies majestueuses, véritable appel au farniente. Après avoir longé la superbe plage de sable blanc de Lang Cô, nous délaissons le nouveau tunnel routier de Hai Vân pour entamer l’escalade du col des Nuages, le đèo Hai Vân.

Sur le bord de la route, de nombreuses échoppes proposent du dầu tràm, l’huile de cajeputier. En massage, en inhalation, en infusion, elle soigne toutes les maladies possibles. Du moins, c’est ce que nous expliquent des marchands lorsque nous nous arrêtons pour en savoir plus.

Munis de ce véritable médicament miracle, nous pouvons poursuivre notre approche du col. Par beau temps, nous avons un ciel bleu magnifique qui vaut une vue à couper le souffle. Derrière nous, au nord, s’étendent des rizières, des lagunes, la baie de Lang Cô, et la mer, au sud, devant nous, la vaste baie de Dà Nang ourlée de plages au sable immaculé s’offre à nous. C’est tout simplement sublime.

Petit arrêt au col, le temps d’admirer cette vue, de faire refroidir les motos, de boire un demi-litre d’eau pour se réhydrater, de prendre quelques photos des vestiges de tours d’observation de l’époque coloniale, et nous repartons vers Dà Nang.

Au début de la descente, un panneau présente les différentes voies d’arrêt d’urgence pour les véhicules aux freins défaillants. Petit rappel à la prudence qui n’est pas inutile. En effet, si dans la montée, les camions et les bus progressent poussivement, polluant l’atmosphère d’un gaz noirâtre qui encrasse nos poumons ; dans la descente, ils filent à toute allure, en coupant les virages et frôlant les talus.

Après les nuages, la zone industrielle qui nous accueille sur plusieurs kilomètres, à l’entrée de Dà Nang, nous ramène sur terre. La circulation se fait plus dense, et le klaxon des camions et des cars qui ont utilisé le tunnel routier achève d’agresser nos tympans.

Ça laisse pas de marbre

Après Dà Nang, Hôi An. Depuis la première fois, j’ai toujours eu un sentiment mitigé vis-à-vis de cette vieille ville de la province centrale de Quang Nam.

Certes, les anciennes maisons sont remarquables sur le plan esthétique, adorables de charme suranné. Certes, les hôi quán - congrégations chinoises - sont splendides. Certes, une promenade à la nuit tombée, sous les lanternes chinoises qui festonnent les bords de la rivière, est un grand moment de romantisme.

Mais, la surabondance de commerces et de magasins de souvenirs, l’impossibilité de faire trois pas sans se faire héler pour que l’on achète quelque chose, nuit un peu au tableau. Aussi, je lui préfère ses environs, qui me permettent de m’évader loin de la foule.

C’est à toute petite vitesse que j’aime aller à Thanh Hà, le village des potiers, pour retrouver une famille de potiers qui m’accueille chaleureusement à chaque visite. C’est la grand-mère qui forme les objets à partir d’une motte de glaise, tandis que sa bru active le tour à potier avec le pied. En quelques instants, la motte devient coupe, vase ou pot, prête à être cuite. Travail extraordinaire de patience et de savoir-faire ancestral. Pendant ce temps, le grand-père polit les pots et objets cuits que sa petite-fille propose à la vente.

Ensuite, j’aime longer la rivière Vu Gia par un petit chemin creux, bordé de haies de bambous. Ici, tout est calme. Il n’y a personne sur la route, qui serpente entre eucalyptus, bananiers, filaos et bambous…

Les larges feuilles ondulent sous le vent qui moire de verts changeants les rizières que je traverse. De petits villages révèlent de magnifiques maisons communales chinoises. Seuls quelques rires d’enfants résonnent derrière les haies. Je suis presque gêné de troubler ce calme par le ronronnement de ma moto que je mène au pas.

Tout a une fin, et il me faut quitter ce paysage bucolique pour retrouver la route nationale 1, en arrivant au village du bronze. J’y connais un artisan, fondeur de gongs en bronze, vieux chasseur et musicien qui, à chaque fois, m’offre un véritable concert de percussion. Moment fort, où toute la famille est réunie autour de l’ancien qui, entre deux morceaux de musique, évoque ses souvenirs de jeunesse, du temps où, dans sa province natale, il chassait et dressait les éléphants.

Parfois, au soir venu, alors que les flammes du foyer éclairent chichement la pièce où nous sommes, en fermant les yeux, j’ai l’impression de me retrouver dans le Vietnam que nous montrent ces vieilles photos en noir et blanc, découvertes dans les malles de grenier ou chez les brocanteurs. Quand, enfin, il me faut retourner au XXIe siècle, j’ai toujours ce mélange de nostalgie et d’enthousiasme de vivre dans un pays qui bouge à une vitesse extraordinaire, mais qui conserve encore des traditions séculaires.

«Pourvu que ça dure !», comme disait une mère corse.
 

CVN