« Vọng
Nguyệt » pourrait se traduire en français par « contemplation de la
lune ». Un nom bien poétique pour ce village situé en bordure de la
rivière Cầu, qui semble tout droit sorti d’un conte, avec ses vieilles bâtisses
rongées par l’humidité. Mais Vọng Nguyệt doit aussi sa réputation au tissage de
la soie, le métier traditionnel qui s’y pratique depuis la nuit des temps et
qui, selon la légende, y aurait été introduit par une princesse. De nos jours,
la physionomie du village a bien sûr beaucoup évolué, mais on y trouve ce qui
fait l’essence-même de ces petites bourgades qui abondent dans la littérature
populaire.
Vọng Nguyệt est un village de la province de Bac Ninh.
D’habitude, on le compare à une bande de soie étalée le long de la rivière Cầu,
entourée de rizières et de champs de mûriers verdoyants. Non loin de Vọng
Nguyệt, se trouve un site historique: l’embarcadère de Như Nguyệt. C’est là
qu’il y a mille ans, Ly Thuong Kiêt a repoussé les envahisseurs chinois de la
dynastie Song, avec une déclaration restée fameuse. « Les monts et les
vaux du Sud sont le domaine du roi du Sud, ceci est déjà prescrit dans le
registre céleste. Pourquoi vous enfreignez cette règle ? Cela ne vous attire
que la défaite. », se serait-il écrié.
Dans la région de Kinh Bac, Vọng Nguyệt est un
village nanti d’un certain nombre de vestiges qui témoignent de ce qu’auront
été les vicissitudes d’une communauté vivant de la riziculture. L’un de ces
vestiges est tout simplement le temple de Vọng Nguyệt, dans lequel on peut
trouver une stèle érigée en 1642, relatant toute l’histoire du village. On y
vénère la princesse Lý Nguyệt Sinh, une femme qui s’est illustrée aussi bien
dans les arts martiaux que dans la littérature et qui a beaucoup contribué à
lutter contre les envahisseurs et à développer le village. Ngô Văn Thị, l’un
des aînés du village, nous raconte : "Après avoir repoussé les
envahisseurs, elle est revenue à Vọng Nguyệt, qui était son village natal, pour
y apprendre l’élevage des vers à soie et le tissage de la soie à la population
sur les 2 rives de la rivière Cầu. Ce sont des métiers qui se pratiquent
encore, de nos jours."
Mille ans se sont donc écoulés, avec tout ce que cela
suppose de péripéties de toutes sortes, mais le temple se tient toujours là,
immuable, avec ses volutes de fumée d’encens. L’histoire de Vọng Nguyệt est
avant tout l’histoire d’une communauté villageoise soudée et solidaire. Aux
hommes, les travaux des champs, et aux femmes, l’élevage des vers à soie et le
tissage de la soie : cet ordre, qui semblait si solidement établi a été
ébranlé par la guerre. Il a fallu attendre les années 80 du siècle passé pour
que certains villageois comme Ngô Văn Thị ou Chu Văn Biền s’attèlent à
restaurer ce qui avait été le métier traditionnel des générations précédentes.
Et très vite, il ont été suivis dans un grand enthousiasme populaire. Les
jeunes femmes et les personnes âgées ont retrouvé le chemin des fours pour
s’adonner à la filature, pendant que les hommes sillonnaient les provinces
avoisinantes - Bac Giang, Vinh Phuc, Nam Dinh, Thai Binh - pour faire le
commerce des fils de soie. Et Vọng Nguyệt a résonné à nouveau du bruit des
filatures et du va-et-vient des navettes : toute une rumeur délicieusement
artisanale ! Dans le village, une bonne centaine de foyers vivent
désormais du métier de leurs ancêtres. Ngô Văn Hành fait partie d’une longue
lignée de tisseurs de soie, à Vọng Nguyệt. Son atelier de traitement des fils
de vers à soie est l’un des plus actifs du village. Hanh a hérité d’un
savoir-faire qui lui a été légué par ses ascendants et qu’aujourd’hui encore,
son grand père Ngo Van Thị s’évertue à transmettre, malgré ses 90 ans. Ngô Văn
Hành nous fait savoir : "Autrefois, le travail était fait
essentiellement à la main. Le rendement était évidemment assez faible. Depuis
l’introduction des machines, le rendement a augmenté de 3 ou 4 fois et la
qualité des fils s’est améliorée, répondant ainsi aux demandes du marché.
Toutefois, certains produits sont toujours manufacturés à la demande des
clients qui tiennent à voir apparaître certains petits détails comme des points
de jointure qui donnent un cachet authentique. Donc, vous voyez, il y a
certains procédés manuels qui subsistent encore, de nos jours. "
Avec des chaînes mécaniques pouvant produire chaque
jour 300 kilos de fils de toutes sortes, la famille de Hanh donne de l’emploi à
une dizaine de travailleurs. Pour Hanh comme pour beaucoup d’autres, c’est un
métier qui exige que l’on s’y attache avec beaucoup de conscience. En tout cas,
c’est une activité enthousiasmante, et qui contribue pour beaucoup à donner au
village son caractère poétique. Dans ses conversations, Hanh note souvent
qu’une femme est d’autant plus charmante qu’elle est parée de soierie. On peut
dès lors imaginer à quel point il a été fier de représenter Vọng Nguyệt pour
offrir de la soie à la ville de Hanoi à l’occasion du millénaire de celle-ci.
Une fierté qu’il partage avec les autres villageois lorsque telle ou telle
reine de beauté apparaît dans un vêtement taillé dans de la soie de Vọng
Nguyệt, à l’image sans doute de cette princesse qui, jadis, leur a apporté son
savoir-faire.