La cuisine vietnamienne attire de plus en plus les gourmets étrangers. Néanmoins, il existe des plats qui peinent à conquérir les Européens, incommodés par les fortes odeurs.
En 1996, je fêtais Pâques chez mon ami Gunter, dans une chambre coquette de Marburg, vieille cité hessoise fascinante avec maisons à colombage. Sur la table, la bougie hospitalière éclairait les fleurs tardives d’Osterglocken (cloches de Pâques) qui côtoyaient les œufs et les lièvres traditionnels en chocolat. Nous étions quatre à savourer dans l’intimité une matinée clémente après plusieurs jours de neige et de givre : Gunter, sa copine italienne Prisca, le cinéaste vietnamien Luong Duc et moi même.
À la fin d’un repas arrosé de vin rhénan, la conversation qui languissait se ranima quand je déclarais que le camembert sentait trop fort à mon goût. On en vint à parler des nourritures qui, par leur odeur, plaisent à un peuple mais répugnent à d’autres. Les goût et les... odeurs, ça ne se discute pas. C’est ainsi que le fromage qui fait les délices et la fierté des Français en particulier semble repoussant pour la majorité des Vietnamiens, sauf pour certaines couches de citadins depuis cinq ou six ans.
Le lait et le nuoc mam
Suite à l’amélioration du niveau de vie, le lait et les produits laitiers commencent à entrer dans nombre de familles des grandes villes. Mais les paysans qui forment 80% de la population de notre pays ne boivent pas de lait. Bien que la cuisine vietnamienne soit de plus en plus estimée par les fins gourmets étrangers, plus d’une de ses fameuses spécialités est loin de plaire au palais des Européens surtout du fait de son odeur.
À la première place de la liste figure certainement le nuoc mam. Le mot qui a l’honneur d’entrer dans le Grand Larousse est défini ainsi : «condiment vietnamien obtenu par macération de poisson dans la saumure». Très riche en phosphore organique et minéral, ainsi qu’en acides aminés, il se consomme souvent à l’état pur au Nord du Vietnam. Il est le compagnon indispensable de tous les plats vietnamiens. Les étrangers friands de notre soupe hanoïenne (le pho) ou de nos rouleaux impériaux (les nems se privent de 30% au moins, de leur plaisir gastronomique, s’ils ne peuvent supporter son odeur qui, dans ces deux cas, est plus ou moins dilué. Il est interdit d’apporter avec soi du nuoc mam dans un avion. Il y a une vingtaine d’années, un étudiant vietnamien avait violé la consigne en glissant une bouteille de ce liquide dans son bagage à main. Il a réussi à tromper l’attention des douaniers à Berlin-Est mais, pour son malheur, il a fait un faux-pas et s’est affalé de tout son long dans la salle d’accueil de l’aérogare. Le liquide qui s’est répandu sur le sol a nécessité plusieurs jours pour désodoriser l’endroit.
Des saveurs très fortes
Une autre sauce qui porte le gourmet vietnamien au septième ciel, mais qui n’est pas aimé de tous les Vietnamiens est le mam tôm (pâte de crevettes) dont le goût est plus prononcé que le nuoc mam. Il relève les tripes de porc et le bouillon au vermicelle servi chaud (bun thang) ou encore le poisson grillé. Le chao, pâte de soja fermentée dans une solution d’alcool et de sel, possède une grande valeur nutritive. Il constitue un aliment essentiel des bonzes astreints au régime végétarien. Son odeur forte a du mal à attirer les profanes.
Certaines personnes délicates sont allergiques au banh tro (gâteau de cendre). C’est un gâteau préparé avec du riz gluant, trempé dans l’eau de cendre. Il a une belle couleur jaune ambrée, mais il a la fadeur de la chaux. Parmi les fruits vietnamiens gorgés de soleil et de sève tropicale, il en est deux dont l’odeur déplaît aux non-initiés. L’énorme fruit du jaquier (qua mit), arbre voisin de l’arbre à pain, et le durian (qua sâu riêng), fruit épineux très nourrissant et savoureux du Sud. Beaucoup de Vietnamiens du Nord ne peuvent supporter l’odeur du durian. Mais ceux du Sud en sont si friands qu’ils dégustent des glaces arômatisées au durian.