Le banh khúc est un gâteau traditionnel du Vietnam. Il est fait à base de farine de riz ordinaire et de riz gluant, mélangée au suc des petites feuilles effilées du légume khúc.
Tard dans la nuit d’hiver, la petite impasse suburbaine où j’habite est transie par le crachin glacial.
«Chaud les gâteaux +khúc+ ! Qui veut des gâteaux +khúc+ ?», le cri traînant et mélancolique du marchand ambulant me réveille de ma douce torpeur, emmitouflé comme je suis dans ma chaude couverture de coton matelassée.
J’évoque la sensation de Proust : «Je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine».
Les gâteaux khúc de mon enfance
Chaque fois que je savoure un morceau de gâteau khúc, c’est toute la campagne vietnamienne que je porte à mes lèvres friandes. Revivent alors dans ma mémoire les gâteaux khúc de mon enfance, ceux qu’à l’approche du Nouvel An vietnamien (Têt), ma grand-mère confectionnait pour nous régaler quand mes parents et moi allions faire la toilette des tombeaux au village natal. Il semble que ce petit casse-croûte paysan, aujourd’hui adopté par les citadins, n’existe pas dans le Sud de notre pays. En tout cas, une de mes amies, quand elle va rendre visite à sa grande famille à Hô Chi Minh-Ville, apporte toujours comme cadeaux des gâteaux khúc de la banlieue de Hanoï.
Cette pâtisserie à base de farine de riz ordinaire et de riz gluant, mélangée au suc des petites feuilles effilées du légume khúc est salé et d’une couleur de mousse pâle. Il y a deux espèces de khúc : le Graphalium luteo-album et le Graphalium indicum. Elles donnent de menues fleurs jaunes et poussent à l’état sauvage parmi les herbes, du premier au troisième ou quatrième mois lunaire.
La farce du gâteau khúc est faite d’une purée de dolique vert et de porc gras assaisonnée de poivre, d’oignon et parfois de bélostome. Ce dernier est un insecte (cà cuông = lethocerus indicus) de la grosseur d’une cigale qui fournit chair et essence aromatiques. Ces produits sont très coûteux d’autant plus que l’espèce, presque éteinte, est en train d’être régénérée.
Un plat pour tromper la nostalgie
Les boulettes préparées - farine de riz et farce -, sont disposées en couches superposées dans une marmite percée de trous, appelée «cho», puis cuites à la vapeur. On a eu soin de séparer les boulettes par des grains de riz gluant qui, à la cuisson, donnent un revêtement blanc empêchant les gâteaux de s’agglutiner.
Elles sont servies chaudes sur des rondelles de feuilles de bananier ou enveloppées dans ces feuilles. Une véritable fête pour le palais ! Chaque bouffée vous réchauffe le corps et le cœur. Succulence du riz bien mastiqué, fondant de la purée de dolique vert, gras du porc, tout cela relevé par l’arôme du poivre et du belostome.
Point n’est étonnant que loin du pays, des étudiants vietnamiens, pour tromper leur nostalgie, cherchent à confectionner de faux gâteaux khúc en employant des feuilles de chou-rave comme ersatz des feuilles de khúc.