Éloge du pho, une spécialité culturelle incontournable
Mettre à jour: 24 Octobre 2017
Le pho (soupe de nouilles à la viande de bœuf ou de poulet) est devenu un symbole de la gastronomie du Vietnam. Celui de Hanoï a une saveur extraordinaire avec son bouillon très pur et ses pâtes molles, ce qui le différencie des pho d’autres régions. L’homme de culture Huu Ngoc vous en dira plus.

Dans une de mes chroniques dominicales, j’ai parlé longuement du pho(prononcez : feu), délicieuse soupe hanoïenne recherchée par les Vietnamiens et dont raffolent bien des étrangers. Je ne peux aujourd’hui résister à la tentation de traduire en partie l’article «Nostalgie du pho du Nord» écrit par Hông Lê Tho, un Vietnamien résidant au Japon.

«Le pho est une soupe originale de notre peuple, un plat populaire que les citadins prennent le matin ou le soir [...]. Le pho de Ha Noi a une saveur extraordinaire avec son bouillon très pur et ses pâtes molles, ce qui le différencie des pho d’autres régions. Certains restaurants de Hô Chi Minh-Ville portent l’enseigne pho de Ha Noi , mais ce qu’ils servent manque de ce petit quelque chose qui fait d’apanage de Ha Noi.

Une spécialité culturelle incontournable

Adorateur de ce potage populaire, dans n’importe quel pays du monde où je vais, je cherche un restaurant vietnamien pour déguster un pho, me donnant l’occasion de le comparer avec le pho de notre pays. Notons que notre pho au bœuf ou au poulet ravit les étrangers, surtout les touristes japonais ; certains d’entre eux en prennent deux à trois bols d’affilée. Évoquant les souvenirs du Vietnam, Kiyomi Tsujimota, présidente du mouvement Peace Boat, s’est écriée : «Je languis du pho et du jus de canne à sucre».

En quoi réside la saveur du pho ? Quelque est la différence de goût entre le phoservi à l’étranger et notre pho (pho du Nord) ? Loin d’être un gourmet, je voudrais pourtant ouvrir ce débat passionnant dans la presse, afin de profiter des lumières des esprits les plus doctes en la matière.
Je me rappelle : l’hiver 1989, je débarquais pour la première fois à Paris, j’étais lacéré par la neige de janvier et tenaillé par la faim. Je fis pourtant l’effort de me traîner jusque dans le 13e arrondissement réputé pour ses restaurants vietnamiens et chinois qui offrent – paraît-il – des spécialités plus délicieuses  qu’au Vietnam.

Comme vous l’imaginez sans peine, j’ai commandé tout de suite un bol de phoau bœuf, bien chaud. Je dois dire qu’embarrassé par le choix de ces nombreux restaurants, j’étais entré dans le plus grand, espérant y trouver le meilleur pho. Et pourtant il me fut difficile de retrouver la saveur de Ha Noi, pourtant aucun ingrédient ne manquait : viande, piment, citron, herbes aromatiques «mùi» et «quê», tout y était. Mais la viande qui avait séjourné plusieurs jours dans le frigo était coriace ; les pâtes de riz étaient un peu sèches ; les feuilles d’herbes aromatiques étaient grandes et belles, mais quelle fadeur ! Où donc était le goût de «mon» pho ?

Il y manquait la pureté du bouillon ; la succulence artificielle de Vedan ou d’Orsan écoeure. Il manquait certaines odeurs du terroir ; celles que distillent le thao qua, la cannelle, la menthe du village de Láng. Un vieux gourmet Hanoien m’a révélé que nos compatriotes du Nord ont appris des Chinois un secret culinaire : l’emploi d’un ingrédient qui donne au bouillon le goût des os bouillis sans le recours au glutamate.

Je suis passé par Grenoble, Lyon, Besançon, Nice, en quête du pho. Mes compatriotes y fréquentent les restaurants vietnamiens plus pour retrouver une certaine sensation gastronomique du pays que pour comparer le pho occidentalisé au pho de Ha Noi ou de Saïgon [...].

Un plat qui fait rappelle le pays natal

Hambourg m’a fait grelotter de froid quand j’y ai mis les pieds pour la première fois... J’y suis resté trois jours, j’ai passé ensuite quatre jours à Nuremberg et à Munich. Jamais je n’ai eu si froid et si faim que pendant ces sept jours. À la seule pensée de la fumée montant d’un bol de pho, même un pho du 13e à Paris, je défaillais de nostalgie [...].

Je suis arrivé vers 21 heures à Copenhague, ville alors presque déserte. Tourmenté par le démon du pho, j’ai fouillé longtemps dans un annuaire téléphonique avant de pouvoir découvrir l’adresse d’un restaurant vietnamien à 30 km de mon hôtel. J’ai payé 35 dollars de taxi pour y parvenir. Le patron, homme de Hai Phong, avait ouvert sa boutique depuis trois ans. Il m’a parlé abondamment de ses créations culinaires vietnamiennes. Il m’a offert un bol de pho excellent, très proche du pho bistro de Ha Noi. Il m’en a confié le secret : «Les gens de ma famille, dit-il, m’envoient régulièrement de là-bas du sá sùng et du thao qua qui donnent ce goût si particulier». Hélas ! Il me manquait toujours l’âcre arôme de la menthe de Láng et la nonchalance des clients accroupis sur les bancs des bistros de pho hanoïens vers minuit.

[...] Mon pèlerinage du pho à l’étranger m’a mené aux États-Unis, au petit Saïgon de Californie. Mais, chaque fois que je rentre à Saïgon, mon premier souci est de me régaler d’un bol de pho fumant, savamment épicé. Je dois cependant constater en toute sincérité que le pho de Saïgon n’est plus du pur pho, sauf dans certains restaurants tenus par des gens du Nord.

Même à Ha Noi, la tradition souvent se perd. La douce saveur donnée au bouillon par le sá sùng, sa limpidité et son goût de pho créés par le thao qua et la cannelle quê chi, le léger piquant du gingembre, les morceaux de viande bien choisis, bien coupés, bien écrasés sur le tranchoir, posés délicatement sur les pâtes de riz soigneusement préparées, les feuilles mauves de la menthe de Láng, il y a là tout un art fait de finesse et d’harmonie que nos pères nous ont légué».

AVI